• 1914-15; Il y a cent ans... 230 ème R.I. Carnet 1

    Le premier carnet commence en octobre 1914 et va jusqu'en février 1915

  • Extrait du Journal de Marche et Opérations du 230 ème Régiment d'Infanterie. ( Archives Service Historique de la Défense)

    02* 1914: Octobre du 11 au 24 - 230 ème RI en Meurthe et Moselle



     

    02* 1914: Octobre du 11 au 24 - 230 ème RI en Meurthe et Moselle

     

    Le 230 ème est envoyé dès le 20 août en Lorraine .

    les combats du 25 août au 1er septembre 1914 en particulier à Rozelieures et Geberviller ont été très violents: 15 morts,  plus de 315 blessés et 180 disparus. L'état Major du régiment est touché : Le lieutenant colonel Lansé Commandant du régiment blessé et évacué, le Capitaine Amiguet Adjoint au chef de corps est tué ainsi que  le Chef de Bataillon Varaigne, les capitaines Rorcheron, Vernardet...  Le Lieutenant Colonel Orsat prend le commandement du Régiment le 29 août 1914 .

    02* 1914: Octobre du 11 au 24 - 230 ème RI en Meurthe et Moselle

     

     

     

    02* 1914: Octobre du 11 au 24 - 230 ème RI en Meurthe et Moselle

     

    ----------------------------------------------

     

    Joseph Duchêne parti de Varsovie en août 1914 a rejoint Annecy. 

    En octobre 1914 un détachement du 230e RI dont Joseph Duchêne fait parti, quitte la caserne pour rejoindre le front.

    Il retrouve dans ce régiment des connaissances, des savoyards des environs de Massingy, Rumilly, Annecy, Chambéry... 

    Il commence son  premier carnet.            

      

    Carnet JD

    11 Octobre 1914.

    02* 1914: Octobre du 11 au 24 , Arrivée au 230 ème RIDépart d'Annecy 13h45.

    Notre détachement compte 24 sergents, 16  caporaux, 2 cyclistes, 1 sergent-major et 4 officiers. Avec nous, partent des détachements pour le 30e et pour le 11e chasseur.

    Amberieu: Arrêt. Blessés à l'ambulance, vieille dame à cheveux blancs soigne parties d'un blessé.

    Lyon Guillotière: 9H1/2 soir, coucher dans une école.

    12 Oct. Trouvé Cibaud qui me présente au Commandant Roubertie, dont le fils est Capitaine au 230e (blessé au 23e chasseurs) Départ de Lyon à 3h 1/2 - Vesoul, Gray, Épinal, Mirecourt-Jarville.

    13 Oct. Cantonnement à Jarville, faubourg de Nancy... Promenade à Nancy avec les sous-lieutenants Favre et Pierret.

    La gare a reçu, ce matin, 3 bombes d'aéro - A Jarville on entend le canon au loin, vers St-Mihiel.

    Je loue une chambre mansardée avec une chaise boiteuse. Les autres couchent dans la gare à l'Usine Kuhn et Cie.

     02* 1914: Octobre du 11 au 24 , Arrivée au 230 ème RI

    Mercredi 14 Oct. Jarville - Départ à 8h50 pour Saint-Nicolas (Franconville) par le train. - À pied de Saint Nicolas à Blainville par Dombasle, Crévic : Grande halte du 222 eR.I - Aéroplane-

    Tout est détruit par les obus et incendies, la mairie exceptée.

    Ici un régiment du Midi (français) s'est rendu sans combat.

    Sur la route le long du canal, trous d'obus, bombes, tranchées, emplacements de batteries.

    Maixe détruit.

    Encore le 222e, toujours des tranchées; des équipes travaillent.

     

    02* 1914: Octobre du 11 au 24 - 230 ème RI en Meurthe et Moselle

     

    Arrivée vers 3 h à Einville, où réside le Lieutenant Colonel Orsat du 230e. Vu Célestin Déplante.

    Je demande à passer au 2e bataillon qui est à Valhey, parce qu’à la 5e Cie je dois trouver Joris [2] , justement dans la Cie du Cap Roubertie.

    Vers 3h 1/2 départ pour Valhey (3km) avec les sous-lieutenants. Pierret et Favre, 14 s/offs. et 8 caps. J'ai bien mal aux talons.

    Arrivée, présentation au Commandant Girardin, qui me place à la 5e. Comme elle est aux tranchées, nous ne les rejoindrons que demain; ce soir, on subsiste à la 6e.

    Je trouve une chambre. Dîner. Coucher à 9h. De temps en temps le canon tonne au loin pour nous rappeler que nous ne sommes pas en manœuvre.

    Je soigne mes pieds écorchés et, en me déshabillant, je me suis aperçu que ma capote, mon gilet, ma chemise, ma flanelle sont mouillés, mes cartes postales dans la poche de ma capote, sont mouillées.

    [2] Antoine Marie Joris né à Faverges Sous-Lieutenant 230e R.I . Ami et Cousin éloigné de Joseph .

    02* 1914: Octobre du 11 au 24 - 230 ème RI en Meurthe et Moselle 

     

     

    02* 1914: Octobre du 11 au 24 - 230 ème RI en Meurthe et MoselleJeudi 15 oct. Mes pieds cuisent.  Deuxième application de baume Ossola. Je mets mes souliers de toile et je décide de rester au cantonnement.

    Temps gris. Coups de canons dans le lointain, très rares.

    Les habitants vont à leurs travaux dans les champs, les enfants conduisent les vaches au pâturage accompagnés d’un soldat armé, chargé de les surveiller pour qu’ils ne fassent pas de signaux à l’ennemi.

    Passent des piquets de cavalerie accompagnant un officier en reconnaissance; des artilleurs (le soir, 4 pièces de 75). Notre section de mitrailleurs part avec son télémètre et sa mitrailleuse Les compagnies partent faire des tranchées et autres travaux.

    À deux heures, C. Déplante arrive à cheval avec son convoi de ravitaillement. Je monte avec un des fourgons jusqu’à Bethelémont. le Capitaine Roubertie, malade est à Valhey, je suis allé le voir à sa chambre et lui remettre le paquet envoyé par son père.

    Les Allemands ont bombardé et incendié 5 maisons d’Arracourt. 

    À Bethelémont, je retrouve le domestique du fermier, Charles, qui me dit que l’autre domestique, José, a été tué au 30 e. [probablement des habitants de son village natal]

    Je ne trouve pas Joris qui est aux tranchées.

    Vendredi 16 oct. Lever tard, vers 8h1/2, ma compagnie, la 5e descend à Valhey. Ils ne savent pas où installer la popote des officiers. On mange sans table, vers midi, de la soupe et des côtelettes de cochons. Il n’y a pas de chef de popote.

    Vu Antoine Joris vers 9h 1/2. il est frais et rose.

    Samedi 17 oct. Rien - Vers le soir passent des voitures venant d’Arracourt où les Prussiens ont brûlé 7 maisons. Femmes en pleurs, mobilier, paquets, enfants.

    Dimanche 18 oct. Rien - à 3h, revue de la compagnie en tenue de campagne par le capitaine Roubertie. Je la passe aussi.

    Lundi 19. Je vais travailler aux tranchées; nous faisons une nouvelle tranchée-abri en arrière de la crête et boyau de communication.

    Mardi 20. Travail aux tranchées des mitrailleurs - Alerte - simple exercice.

     

    ----------------- 

    02* 1914: Octobre du 11 au 24 - 230 ème RI en Meurthe et Moselle

    02* 1914: Octobre du 11 au 24 - 230 ème RI en Meurthe et Moselle       02* 1914: Octobre du 11 au 24 - 230 ème RI en Meurthe et Moselle       02* 1914: Octobre du 11 au 24 - 230 ème RI en Meurthe et Moselle

    Gradés du 230e RI que Joseph cite régulièrement

    Terris : Colonel Terris de la  148e brigade ( 223e R.I., 230e R.I., 333e R.I.; 51e B.C.P., 62e B.C.P. )

    Orsat (Constant) (chef de bataillon au 30e RI puis au 230) Lieutenant-Colonel  au  230e RI à partir de fin aout 1914 (sept 1916)

    Roubertie (J-J-S-L-J) Capitaine  commandant la 23 ème  compagnie du  230 è RI  // + son fils Lieutenant (vient du 23 ème chasseur)

    Gebs ( Jules - Laurent- Georges) né en 1890 à Vesoul : Sous lieutenant, lieutenant puis Capitaine.

    (Photos Journal " L'Illustration" https://www.lillustration.com)

     

    Quelques abréviations qui reviennent régulièrement :

    A.P: avant-postes - P.P: petit-poste - G.G: grand'garde - Lt Lieutenant - Cl Colonel...

     


  • Mercredi 21. Matin aux tranchées.

    Comme je suis de jour, je reste au cantonnement. Pendant le repas (à la cure, où j’ai réparé la pendule) on nous annonce que tout le monde va partir à midi et demi.Nous nous préparons. À une heure tout le bataillon part pour Bethelémont.

    La 5e (1er peloton) va occuper un promontoire qui s’avance sur Bures. C’est la cote 322.

    02* 1914: Octobre du 11 au 24 , Arrivée au 230 ème RI en Meurthe et MoselleLe Lieutenant Geps[3] envoie une patrouille en avant, forte d’une escouade. Les 2e et 3e escouades en tirailleurs derrière. La 4e en réserve; la 2e section avec le capitaine sur notre droite. Nous occupons la crête sans rencontrer personne. Nous voyons les tranchées françaises, vieilles de deux mois et les tranchées allemandes, où restent des culots de cartouches des chargeurs. Trous d'obus allemands. Je parcours les petits postes et la ligne de sentinelles avec le lieutenant Geps [Gebs]. À la lorgnette, nous voyons, à gauche de Bures, deux sentinelles allemandes et un petit poste qui se replie vers Bures. À droite du village sous un pommier une sentinelle. Le sergent Lugrin organise un abri.

    On nous apporte de la soupe froide, du macaroni au fromage froid, de la viande rôtie et du café froid. Repas aux étoiles; on voit une belle comète. Jupiter éclaire; les étoiles brillent d'un bel éclat.

    Le canon tonne vers St-Dié et vers Nancy; il tonne aussi à 10 ou 15 Km. Dans la direction de Nancy jusqu'à la nuit. Dans le lointain on tire toute la nuit.

    Chez nous, le calme. Un coup de feu, puis plus rien. Vers 3h, nouveau coup de feu puis plus rien <(sur des poulains)>.

    Je dors paisiblement; un peu froid aux pieds. Un brouillard nous couvre d'eau. Les fusils rouillés, mouillés.

    Le brouillard nous permet de travailler aux tranchées. Je me réchauffe en maniant la pelle. On apporte le café au lait.

    Jeudi 22 octobre. Le brouillard se lève vers 9 heures. Nous nous immobilisons dans les tranchées. Le soleil vient nous réchauffer. On apporte le déjeuner. Bon repas de chasseur, café, cigare. Je me couche sur la paille dans l'abri et lis un roman-feuilleton. Immobilité jusqu'à trois heures.

    Je sors de la tranchée et je vois arriver en arrière une patrouille de cavalerie. Le maréchal des logis me dit qu'il va se poster vers la ferme qui est à côté de Bures et me demande de faire un feu s'il est attaqué. Ils descendent à droite, s'avancent.

    Au loin, une patrouille allemande s'avance, à un coup de revolver du margis[4], les cavaliers rebroussent et une patrouille de notre 1er bataillon s'avance, puis tout rentre. Rien jusqu'au soir.

    On nous relève vers le soir. Nous rentrons manger la soupe à Bethelémont. Aussitôt, coucher dans la paille, au-dessus de notre popote. Nous avons des matelas, oreillers pris à la ferme de la Fourasse.

    On annonce une victoire Russe sur la Vistule.

    Vendredi 23 octobre. Repos, nettoyage. Le 2e peloton monte aux avant-postes. Le capitaine Roubertie vérifie l’ordinaire. Travail aux tranchées.

    Samedi . Tranchées.

    Dimanche 25 octobre -Reçu lettre de Marie[5], du 23 septembre. Matin Tranchées.

    [3]     Geps = Jules Laurent Georges Gebs  Lieutenant           /

     [4]    Margis : maréchal des logis

    [5]   Marie Makarov sa femme et ses fils Georges et André sont à Kielce en Pologne (Russie)

     

     ----------------------

     

     

    03*1914: Octobre du 25 au 30- Bures cote 32203*1914: Octobre du 25 au 30- Bures cote 322

     

     

     

     

    Dimanche 25 octobre 1914 - Reçu lettre de Marie,du 23 septembre. (Marie Makarov sa femme et ses fils sont restés en Pologne )

    Matin: Tranchées.

    Soir: Nous montons (le 1er peloton) aux avant-postes à la «Corne du Bois» en arrière de la cote 322, avec vue et postes sur Arracourt à gauche, Juvrecourt, Réchicourt et Dieuze. La grand'garde est installée dans les baraques en branchages, près du poste téléphonique où couche l'officier du peloton (Lieutenant Geps). Je suis de piquet avec une escouade, la 2e, du caporal Châtelet (Ingénieur au Havre, grand voyageur au Mexique, en Silésie, en Franconie.)

    03*1914: Octobre du 25 au 30- Bures cote 322Je fais une ronde; il fait tiède, les nuages courent sur la lune dans les futaies. Je mets mon passe-montagne, mon jersey et ma ceinture de flanelle et je me couche sur la paille dans un abri. Tout à coup je vois une lampe électrique à 20 pas devant moi;

    Je crie "- C'est vous mon Lieutenant? Qu'y a-t-il?"

    "-Oui c'est moi répond une voix; Où est le Lieutenant Geps?»

    C'est le capitaine! Derrière lui, toute la compagnie, qui vient prendre les avant-postes. On les fait coucher sur deux rangs, sous la pluie qui continue de tomber. Tout le bataillon est là!

    L'artillerie arrive, on entend le battement des essieux ; On m'envoie faire une patrouille avec deux hommes aux avant-postes de la 2e section. Je ne connais pas les lieux ni l'emplacement des postes. Je mets 20 minutes pour arriver à Lugrin (Sergent) qui me conduit jusqu'au col; je rentre à la grand'garde et j'essaie d'arriver au poste de Desaix (sergent) vers Arracourt. Je m'enfonce dans la boue, je me perds dans le bois, mais ne peux arriver. Je rentre. La pluie commence. Le 2e peloton est toujours couché sur deux rangs dans le bois; ronflements.

    Je me couche. La ronde de 2 h du matin sous la pluie est faite par le sergent Pillet.

    À 4 h, je vais réveiller les officiers. Il fait si noir que je ne peux trouver la cabane. Je fais prendre un tison et je me trouve adossé à la cabane. «Dormir jusqu'au jour ! »

    Je vois bientôt arriver des régiments en colonne par 4, précédés d'éclaireurs - de la cavalerie et le peloton cycliste.La division va faire une reconnaissance vers la forêt de Parroy à droite et vers Réchicourt de l'autre.

    Nos 75 commencent à arroser le terrain (une batterie) puis les patrouilles, les lignes de tirailleurs avancent; devant moi, le 36e colonial, les 299 et 223e avancent. Nos canons se taisent; les 77 Allemands commencent le feu sur nos lignes; vers Arracourt, à 4 ou 500 mètres de nos tranchées. Aussitôt repérés par nos batteries, ils se taisent et ne prennent plus part à l'action.

    Bientôt le feu des fusils commence, augmente, notre mitrailleuse aussi s'en mêle; les 75 arrosent les tranchées ennemies, l’entrée des villages, les pentes boisées.

    Je déjeune de soupe et d'un excellent bifteck, pendant que les maisons sautent et s'enflamment. Au loin, de la droite, une batterie des nôtres s'est avancée et dévaste la plaine.

    Le soir, on annonce qu'il y a 350 prisonniers allemands. Ils produisent l'impression, ces prisonniers, d'être heureux de ce qui leur arrive.

    On dit qu'une Cie s'est rendu après avoir fusillé son capitaine.

    En rentrant le soir au cantonnement nous voyons, les fusils et équipements des prisonniers.

    Les nouvelles de Russie sont bonnes.

     ----------------------------------------------

    Extrait du Journal de Marches et Opérations

    03*1914: Octobre du 25 au 30- Bures cote 322

    ------------------------------------------------

     

    03*1914: Octobre du 25 au 30- Bures cote 322

    Mardi 27 octobre. 8 h aux tranchées. Nous allons faire un abri pouvant résister aux obus percutants. Tranchée, madriers de chêne, etc. … Bonnes nouvelles du front russe.

    Mercredi 28. Tranchée, abri- Pluie toute la nuit.

     

     

     


    03*1914: Octobre du 25 au 30- Bures cote 322Jeudi 29 octobre. Matin, tranchées – Soir, pluie.

    Mon peloton monte aux avant-postes à la cote 322, devant Bures; qui parait-il est maintenant occupé par nous.

    On raconte que le 333e régiment a une équipe de patrouilleurs volontaires, apaches parisiens, qui reçoit 25 fr par prisonnier. Ils marchent sans équipement, avec cartouches dans la poche.

    Hier soir, l'un d'eux, vers le parc d'Arracourt, s'est heurté à une sentinelle allemande; celui-ci effrayé s'est enfui en hurlant.

    La pluie a cessé. Je suis envoyé en extrême pointe à la gauche de Bures, à la corne d'un autre bois qui descend vers Arracourt, avec sentinelles à l'extrême point, plus haut à droite.

     

    Je place mon petit poste dans un abri avec toit en planches recouvert de papier bitumé, mais sans parois, plancher de terre détrempée, sentinelles de nuit. On apporte du café; je vais mettre un jersey et une ceinture de flanelle à la grand'garde en passant par les autres cités troglodytes de Vuillet et Muffat. Je laisse mon sac à la grand'garde chez Jollivet et je vais avec lui à la ferme de la Fourasse en passant par la grande carrière et les baraques en paille de Desaix. À la ferme, la 4e se chauffe à un grand feu, les veinards, ils ont du feu, un toit, des planches pour s'asseoir devant la grande cheminée. Les cuisiniers qui m'ont suivi remportent chacun deux marmites d'eau, nous rentrons.

    Je passe voir le lieutenant, bien abrité avec une bâche pour porte. Je passe chez Muffat, j'entre dans son souterrain et nous causons de la guerre, de l’Allemagne, de Guillaume ; du service fait aux avant-postes par les officiers, par les sous-officiers et soldats.

    En sortant de sa tranchée, je me perds complètement, une sentinelle m'arrête. Je rentre comme je peux.

    Je me couche une heure, sur deux morceaux de planche et quelques touffes de genêts. J'ai un fort rhume de cerveau aussi je ne peux dormir. Je me relève, visite mes sentinelles et me recouche sans dormir.

    Le soir, la canonnade de nos grosses pièces a été violente sur la forêt de Besanges, voisine. Le tir semble réglé par des fusées. Vers le Nord-Est, on voit des lueurs dans le ciel. La canonnade vers Nancy (plus loin) toute la nuit sans interruption. Quelques coups de fusil. La lune se montre parfois dans la brume, puis disparaît. Vers le matin obscurité absolue.

    Vendredi 30 octobre. Lueur blafarde - puis plus à gauche, aube rouge sanglante, entourée de nuages lourds et sombres, puis tout s’efface dans le ciel tandis que tout devient visible sur terre.

    À 5h1/4, je réveille mon caporal et je l'envoie avec cinq hommes à la pointe à occuper. On apporte le café.

    Je pars en excursion vers Bures et remonte vers le poste du lieutenant. Lugrin me montre notre porteur de café au lait qui arrive de Bethelémont. Nous allons réchauffer le café dans la carrière, puis buvons un quart. Si peu! Je conduis l'homme, en avant des lignes, par le petit col, vers les sergents Vuillet et Muffat. Nous voyons un peloton de Dragons arrière en reconnaissance vers Bures.

    (J'ai écrit au crayon dans un trou d'artilleur, sur une botte de d'avoine, tantôt écrivant, tantôt observant à la jumelle, de la crête avancée de la cote 322 sur Bures – Interrompu pour aller en reconnaissance à Bures.)

    Comme nous traversons le plateau entre le col et le petit-bois où est mon poste, Pan, un obus.

    Je crois que c'est sur la cavalerie en bas. Elle avait déjà dû se replier vers Bures sous la fusillade des tranchées allemandes. Tranquillement, nous continuons. Le deuxième et troisième obus viennent éclater sur notre droite, les shrapnells grattent le sol près de nous. Au pas de gymnastique nous gagnons la tranchée du petit-bois et le 4e coup éclate au-dessus de nous, trop long pour nous atteindre.

    Cela dure 10 minutes environ. Je les passe dans le bois; pour me donner une contenance, j'allume une cigarette, appuyé contre un sapin.

    C'est fini; je rentre à mon poste.

    Mes sentinelles avancées ont eu peur et se sont repliées sur le petit poste. Avec Vuillet, nous les renvoyons en avant.

    Vers 10h, soupe, bifteck, riz chaud. Je vais faire un tour à la grand'garde, pour prendre la jumelle du lieutenant Geps.

    Je reçois trois lettres (Cibaud, Joris, Chabert) et je vais me poster pour observer à la lorgnette, lire mes lettres et écrire, à la pointe extrême sur Bures, dans un trou où la sentinelle m'apporte une botte d'avoine. On voit une tranchée, à gauche avec une section allemande (avec un uniforme sombre et non gris) qui doit travailler.

    Vers deux heures, le froid me fait partir. Je me dirige vers le col de droite; la sentinelle m'apprend que le lieutenant Geps m'a cherché pour aller en reconnaissance à Bures, il est parti. Je pars au pas de gymnastique et rejoins la patrouille de 10 hommes dans le village; en allant je vois un obus allemand non éclaté, je fais lever un lièvre roux et je trouve une blague pleine de gros tabac.

    À Bures, j'achète une demi livre de beurre pour 20 sous; les femmes nous apprennent que les allemands faits prisonniers ont bien eu 10 minutes pour se sauver et ne l'ont pas fait; que les Prussiens avaient toujours un observateur dans le clocher.

    Nous revenons en arrière; je porte mon beurre dans une cartouchière française que Lugrin a trouvée à Bures; il porte un chou. Tout à coup un obus éclate, sur la droite. La canonnade commence. Nous continuons à avancer vers St Pancrace et La Fourasse.

    Arrêt au petit poste vers les huttes de paille, en bas des carrières. Plus d'obus; nous remontons vers la grand'garde. Nous mangeons une tartine de beurre avec Lugrin. Geps et le petit sous-lieutenant Favre en font autant, sous la grande bâche verte. Je remonte mon sac.

    Bon! Voilà les obus qui recommencent. Nous rentrons dans la tranchée-abri et comme les obus vont vers la droite, nous les regardons exploser ou percuter dans le col d'Arracourt. Le petit poste du col, occupé par la 6e Cie est visé et touché plusieurs fois. Enfin, c'est fini!

    Personne ne bouge encore. La nuit vient. La relève arrive.

    Je suis chargé d'aller relever les postes sur le plateau. J'y vais, mais intérieurement, je suis persuadé que les Allemands vont nous bombarder pendant la relève. Nous nous défilons sur les pentes, nous arrivons, nous relevons... Tout se passe dans le calme.

    Je trouve mon petit poste intact, pas de blessés, mais un percutant a failli toucher le toit de l’abri et a troué la terre à 12 pas en arrière. Beaucoup d’obus ont arrosé le bois. En somme, il n'y a eu que 4 blessés à la 6e: un caporal très gravement; le sergent Duffour, arrivé avec moi, a eu la jambe traversée par une balle de shrapnell, l'artère et l'os sont intacts; les deux autres, blessures légères.

    Je ramène la 1e section vers la grand'garde et je les laisse partir pour aller rendre compte au lieutenant Pierret de la 8e et prendre mon bidon oublié. Je dois rentrer seul à Bethelémont; je retombe sur le chemin après avoir repassé une colline sur laquelle je fais lever trois lièvres dans les avoines et les blés non fauchés. Je rencontre les brancardiers qui vont chercher le deuxième blessé, le sergent.

    03*1914: Octobre du 25 au 30- Bures cote 322Comme il fait bon se retrouver au logis, pourtant si sale et si étroit de la popote !                                          

    Comme il fait bon dormir sur la paille où ont dormi les Allemands, pleine de poussière

    mais où il fait chaud et où l'on se sent à l'abri des obus.


    votre commentaire
  • 04*1914: Novembre du 1er au 11- bois de Bénamont - la Fourasse. 

    Samedi 31 octobre. Le matin repos. Le soir nous allons continuer notre abri contre le tir de l'artillerie. En allant conduire une demi-section à la grand'garde pour y porter des piquets pour le réseaux fil de fer, je trouve un culot d'obus de 72.

     Dimanche matin, 1er novembre. Toussaint. Temps radieux. Je suis de jour. Je vais prendre les ordres du capitaine à 5h 1/2: repos dans le cantonnement; revue en tenue de campagne à 10h (Le 2e peloton est aux avant-postes). Vers 9h les deux pièces de 90 du sous-lieutenant Félix commencent le feu sur la tranchée que nous avons observée sur la côte 300, ouest de Coincourt.

    À midi, il reprend la canonnade. Les grosses pièces de la patte d'oie (au-dessus de Valhey) tirent aussi quelques coups.

    Nous faisons une manille au bureau. Dunand, Lathuile, Muffat et moi. Une bouteille de Mercurey.                                                                     

    À 4 h, le capitaine m'annonce que je remplacerai le fourrier Guichonnet à la liaison. Cela me dispense des avant-postes tous les 4 jours. Je dois rester toute la journée au bureau du Chef de Bataillon pour attendre les ordres, les copier et les transmettre à ma compagnie. Je m'installe aussitôt avec tout mon bagage au bureau où je dormirai désormais. À côté de nous, le poste téléphonique reliant Bathelémont avec l'État-major à Bauzemont, avec nos avant-postes de Bénamont de 32, de la Fourasse et les avant-postes voisins d'Hénaménil, de Serres etc.

     

    Lundi 2 Novembre. Nouvelle canonnade – Dans la nuit, les chasseurs d'Hénaménil ont dû faire une reconnaissance sur Coincourt. Ce soir, notre 6e Cie devra aller à Arracourt et Réchicourt. Dans la journée nos canons font sauter la tranchée avant de Bures. Je vois Célestin Déplante. Notre (mon)1er peloton monte aux avant-postes, sans moi.

    Il fait un temps chaud et clair, avec averses comme en avril.

    3 Nov. Rien,

    Mercredi 4 novembre. Le 27e peloton monte aux avant-postes avec Joris. Le temps est assez beau. La nuit est tranquille. Vers le matin, brouillard

    Jeudi 5 nov. Je suis à la liaison au bureau du Commandant.

    Vers 8h, les téléphonistes nous disent que la 5e Cie au bois de Bénamont vient de crier aux armes. Le Commandant m'envoie chercher ma Cie. Les balles sifflent autour du village; sur la crête, vive fusillade. En allant chercher la 1e section, j’entends les balles siffler au-dessus de moi, dans la combe, à mes oreilles ça fait zinnc ou floc

    Je reviens m'équiper, monter mon sac. Les compagnies partent occuper les positions. Le Commandant m'envoie porter l'ordre à la 5e Cie de se porter à Bénamont, trouver le premier peloton pour renforcer son 2e peloton aux avant-postes.

    J'y cours sous la même petite musique. La fusillade continue sur les crêtes. À 9h 1/2, la 5e envoie dire qu'elle n'a plus de munitions. Je fais partir les 2 mulets à munitions de la 5e.

    Les 2 pièces de 90 du Lt. Félix, s'installent derrière notre maison, qu'ils ébranlent à chaque décharge. Je vais les voir tirer. Une autre section de 2 pièces de 90 se porte vers la Fourasse (les pièces de Félix avaient d'abord été abandonnées par lui dans le col sous Bénamont). Pendant que je regarde tirer les pièces, un obus allemand arrive à 15 mètres de moi, dans le jardin de notre maison et éclate à côté de Boisier, l'homme de liaison de la 8e Cie, à 5 mètres de lui sans lui faire de mal. Puis les obus s'en vont vers le bas du village, enfonçant un toit, un mur et l'un éclate au milieu des cuisiniers de la 7e sans les toucher. Dans toute la journée, pas un de nos hommes n'a été touché par un obus.

    Vers 2h quelques obus sur le village. 2 aéros français passent à plus deux mille mètres au-dessus de nous. Tableau du village animé qui meurt tout à coup.Tout se cache, rien ne bouge plus (comme si l'aéro était allemand, on n'est jamais bien sûr).

    On annonce que la cavalerie et les cyclistes (2 escadrons et un peloton) vont faire une diversion, en tournant par la gauche, vers la Fourasse.

    04*1914: Novembre du 1er au 11- bois de Bénamont - la Fourasse.

    Pensant que le mouvement va bientôt commencer, je me porte au bout du village. J'y trouve deux officiers d'artillerie. Tout à coup un, deux obus au-dessus de nous, dans la direction de la batterie. Les deux officiers se mettent à courir vers le village au pas de gymnastique (moi je me colle contre un petit mur, dans les orties et les épines) deux obus au-dessus d'eux font sonner les tuiles des premières maisons. J'en laisse éclater une douzaine au-dessus de moi, et en arrière - puis je me porte aux tranchées à 50 m en avant et j'y trouve une Cie du 223 . C'est fini. Les obus allemands, 77 et 105 s'en vont vers la Fourasse, chercher, par des salves de nos pièces de 90.

    Je rentre au village où peu à peu tout meurt; le 223 se porte en avant, en soutien, avec 2 compagnies les deux autres rentrent à Valhey. // Le sergent Thomas, avec la 9e escouade qui avait dû se replier sans avoir le temps d'occuper sa tranchée monte avec elle, vers 10h, rejoindre la Cie.

    Les cuisiniers dont descendus vers 6h et, toute la nuit montent la soupe, le pain, l'eau-de-vie aux hommes qui n'ont rien mangé depuis hier soir. Toute la nuit les pauvres cuisiniers voyagent entre le village et les avant-postes.

    Les renseignements nous arrivent. Le sergent Barbier (adjudant depuis hier) de la 6e est ramené avec 1 balle dans la nuque, 1 dans la poitrine et une dans la jambe. Il a toute sa connaissance. 7 blessés légèrement - 2 sergents tués à la 6e, Pollier et Raffort (celui-ci était le chef de popote quand je mangeais à la 6e à Valhey) et 5 hommes. La 5e n'a perdu qu'un homme; tué d'une balle au cœur au moment où il sautait dans la tranchée. Les Allemands ont perdu beaucoup de monde; on évalue les morts à 150. Leur artillerie n'a pas fait une seule blessure dans toute la journée. Ils tirent avec des 77 et des obusiers de 105.

    Le soir, le (général) Colonel Terris vient nous dicter un ordre. Il est content et plaisante avec nous. Il a de beaux ongles noirs.

     -----------------------------------------------

    Extrait Journal des Manœuvres et Opérations du 230è RI.

    04*1914: Novembre du 1er au 11- bois de Bénamont - la Fourasse.

    04*1914: Novembre du 1er au 11- bois de Bénamont - la Fourasse.04*1914: Novembre du 1er au 11- bois de Bénamont - la Fourasse.

     

    Vendredi 6 novembre

    Le brouillard se lève, les artilleurs  reprennent de nouvelles positions de combat autour du village.

    Je vais voir derrière l'église, le sergent Pollier, instituteur à Thônes, originaire de Mures au-dessus d'Alby.Tué d'une balle à la tête. C'est le 1er mort que je vois.

    Pauvre pioupiou dans ta capote sale et ton pantalon rouge,

    tout chiné et taché de la boue des tranchées!

    Pauvres mains pleines de terre!  

    Où est-elle la beauté et la gloire qui devraient entourer ta dépouille de brave soldat?

    Te voilà couché  sur la terre du petit cimetière,

    sans linceul, sans verdure, sans couronne de feuillage.                     

    Sa femme, si elle le voyait ainsi...

    On descend les autres morts dans le parc du vieux château.

    04*1914: Novembre du 1er au 11- bois de Bénamont - la Fourasse.

    Vers midi, la 6e Cie puis la 5e descendent. Je vais féliciter mes camarades de leur belle tenue sous le feu. Ils ont enterré Dubouloz la haut, mais on ira chercher son corps pour l'enterrer avec les 7 morts de la 6e compagnie qui a aussi 8 blessés.

    Le lieutenant Joris a deux fanions de signaleurs allemands. Vulliet a un casque et deux fusils. On a recueilli des papiers, des pattes d'épaules sur les morts allemands pour les envoyer à la division.

    Le soir le colonel vient tenir conseil avec le Commandant Girardin pour les récompenses à accorder.

    Toute la journée se passe dans le calme. À deux heures nous recevons "la Dépêche" annonçant la grande victoire de la Vistule. Kielce est dégagé puisque deux points situés à l'ouest de Kielce ont été occupés sans grande résistance par les Russes.

    Les nouvelles du Nord sont bonnes aussi.

    Le soir nous jouons aux cartes, sur le couvre-pieds du mort de la 5e et je gagne 18 fr. au banco.

    Samedi 7 novembre. Il y a reconnaissance du 333e et des chasseurs, quelques coups de feu.

    À 9h le cap. Roubertie rassemble la 5e. Appel, Absent: Dubouloz - mort au champ d'honneur!                                         La Cie présente les armes à son cercueil et défile. Messe des morts, sépulture. Discours. Honneurs.

    04*1914: Novembre du 1er au 11- bois de Bénamont - la Fourasse.04*1914: Novembre du 1er au 11- bois de Bénamont - la Fourasse.04*1914: Novembre du 1er au 11- bois de Bénamont - la Fourasse.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     ---------------------------------------------

    04*1914: Novembre du 1er au 11- bois de Bénamont - la Fourasse.

    Nous attendons les journaux avec impatience. On dit que la Turquie est déjà attaquée par la Russie en Asie et par les flottes anglo-françaises aux Dardanelles. La Grèce mobilise (nouvelles données par C. Déplante).

    J'écris à Kielce. Le soir, je joue aux cartes (gagné 7fr) Je rentre au bureau.

    Le capitaine Roubertie vient causer avec nous (Vittet, Tapponier et moi) et nous raconte la marche en avant vers Dieuze de ses chasseurs (23e bataillon). Ses impressions en revenant en arrière, après le choc formidable reçu devant les lignes de résistance allemande - «Hé bien, avez-vous vu comme ils sont forts; que nous sommes petits garçons à côté d'eux; nous ne connaissons rien de la guerre moderne; vous avez vu comme tout était combiné, machiné; quelle cohésion; quelle science du combat.» - Impression d'impuissance désespoir - Armée pas prête, etc. Le capitaine dit qu'on fait circuler le bruit que la Prusse demanderait la paix.Il ajoute que c'est la Russie ou l'Angleterre qui ont voulu la guerre et que l'Angleterre a pour ainsi dire trompé la diplomatie allemande.

    Le capitaine s'exprime avec une facilité et une correction remarquables, en un langage très vivant et fait des tableaux très impressionnants, par exemple, de l'enfer de la canonnade allemande devant Dieuze, les obus crachant leur fumée jaune, verte, noire ou blanche. Les <poupées> de 6 obus avançant de 10 m. en 10 m. sur la Cie couchée, etc. Nous causons jusqu'à minuit.

     

    Dimanche 8 nov. À 11h le cap. Roubertie vient au téléphone demander des nouvelles au lieutenant Geps à la cote 327. La compagnie monte avec outils à 4 h pour faire des réseaux de fils de fer.

    À 5h on appelle le Commandant au téléphone. Il nous réveille disant que nous pourrions bien avoir une nouvelle journée de canonnade. Nous nous levons, habillons et équipons rapidement. Nous allons faire charger le mulets. «En cantonnement d'alerte!» Puis tout se calme. Ma Cie avait cru voir à la corne du bois (mon petit poste), cru apercevoir des patrouilleurs dans le brouillard. Puis rien.

    Le soir, les journaux nous donnent quelques détails de la bataille de la Vistule. À Kielce on a pris 600 prisonniers. Les officiers viennent voir notre carte de Russie et se font expliquer les positions des Russes et des Allemands.

     

    Lundi 9nov. Journée calme - pas de lettres. Brouillard.

    Le soir, le Commandant prie de le réveiller à 4h. Nous supposons qu'il y aura une reconnaissance.

    Une escouade de la 5e égarée dans le brouillard ne peut rentrer.

     

    Mardi 10 nov. 4 h matin brouillard. Alerte. Je vais réveiller la compagnie. Le 223 arrive de Valhey avec l'artillerie. L'action se déclencha très tard (retard de la division de cavalerie)

    Le Colonel Terris, commandant la brigade, passe la matinée et la soirée au téléphone. La canonnade commence vers deux heures - Légères fusillades. Nos canons tirent peu.

    Pendant la canonnade le colonel Terris me demande si j'ai des nouvelles de Russie, de ma famille.

    Nous causons de mon voyage, de Constantinople, où il a voyagé, des juifs, des Français (tradition), des Slaves, peuple jeune et sans attaches. - Arrive C. Déplante.

    Le soir vient. On annonce 1 dragon blessé en tombant de cheval; 3 blessés au 223e; 1 commandant tué et 14 blessés au 222 – Arrivant de Bathelémont des réfugiés de Coincourt, qui donnent des renseignements.           Les Cies descendent. Tout est fini.

     

     

    04*1914: Novembre du 1er au 11- bois de Bénamont - la Fourasse.Mercredi 11 novembre  Fête d'André et anniversaire de la naissance de Georges (Georges et André ses 2 fils) . J'achète deux poulets et une poule, je commande des beignets aux cuisiniers pour le soir.

    Point d’événements - une patrouille vers la Hte Rionville reçoit des coups de feu.

    Le Commandant Girardin me communique un journal disant que les fonctionnaires russes sujets français gardent leurs places en Russie. Je lui apporte une balle vieux modèle tirée par les Allemands (trouvée par le lieutenant Joris). Il m'invite à prendre un grog avec les officiers. Nous causons une demi-heure. J’emprunte les petits verres des officiers pour boire le Cointreau. Dîner - sardines, anchois - soupe au gruau et pommes de terre - poulets rôtis nouilles au fromage - fromages – beignets - figues. Je paie 5 litres de vin (en plus du quart de la Cie) Thé au rhum, cigares, Cointreau, Chaussons -

    Coucher à 11h après avoir écrit à Georges et à André une lettre, envoyé une carte signée de tous les camarades.

    Grand vent il neige un peu.

    Quel temps pour les tranchées !

     

    Jeudi 12 novembre. À 1h ordre de départ pour Einville. 
    Les fourriers partent dans le 1/4 d'heure préparer les cantonnements. Je ramasse mes affaires et en route.

    Temps menaçant et noir, vent violent, tempête, quelques gouttes de pluie.En passant à Valhey, bonjour à Mmes Braconnard, café et en route pour Einville. Mes souliers neufs me font mal aux pieds. En arrivant, je prépare les cantonnements de ma compagnie, chambres d'officiers, écurie, infirmerie, mitrailleurs, popote des sous officiers. Le maire Mr Dieudonné récemment rentré de captivité m'aide à trouver. Les cuisiniers arrivent, je les installe. Vers 3h 1/2 les Cies arrivent ; je conduis chacun à son nouveau domicile. On ne fait pas de dîner pour les s/off ; un peu de café et on se couche. J'ai un lit passable dans le bureau du Commandement ; l'adjudant couche en haut; les camarades dans une chambre à côté, sur des matelas et des sommiers avec couvertures et édredons pris au Château. Je peux lire au lit. J'ai installé deux cartons verts (du juif marchand de grains Hayem  chez lequel nous logeons) sur une chaise, un bougeoir dessus et une peau de sanglier comme descente de lit.

     

    13 novembre Vendredi

    Notre popote, installée dans un café, doit déménager par ordre du Commandant; nous nous scindons en deux popotes; La mienne s'installe dans la même maison que le Bureau du Commandant où je couche. Je trouve une table et des chaises au café d'en face, fermé. Le soir, 200 laissez-passer à la signature (paysans, ouvriers et ouvrières des salines d’Einville et des salines de Maixe). Notre 1er Baton avec le colonel sont à Maixe, la brigade à Serres, la division à Dombasle. J'ai bien mal aux talons.

    Le soir grand vent dans les arbres qui bordent le canal. Pauvre 223e aux tranchées! Mauvais début.

     

    14 novembre, samedi: Arrivée de 100 fusiliers marins à Einville et 60 hommes de la territoriale pour nous renforcer (du 107e; 15 par Cie). Les canons 155 du bois de Saussy tirent; les arrivants sont impressionnés. Nous installons un bureau pour les laissez-passer à la mairie avec Decoux, secrétaire, le caporal Thomé comme planton et 2 gendarmes. On doit installer à la mairie un bureau de la place.

    Nous dînons pour la première fois à notre nouvelle popote, le 2e peloton, seul. C'est l'automne; averses, giboulées, soleil; aujourd'hui il a fait plus chaud.

    On vit sans penser, absorbé par le service et la vie animale: manger, boire, fumer, dormir. Du bois pour le poële! Victoire! Quart de vin, ce soir! J'ai pu avoir une bouteille de rhum! Lugrin a une boîte de cigares! Voilà quels sont les évènements de cette vie.

    J'ai reçu 3 lettres ou cartes; du Dr Bouvier, toujours fidèle camarade; de Mr Chabert, professeur à la faculté de Grenoble et de Mr Callet, commissaire de surv. à Chambéry.

    Rien de Russie! Si Marie m'avait télégraphié à Annecy, je devrais déjà avoir reçu la dépêche. Pourquoi ne m'a-t-elle pas écrit plus d'une fois depuis le 15 sept. jusqu'à la réoccupation de la ville? ( Sa femme et ses enfants sont à Kielce, ville dans la partie russe de la Pologne.  la ville a été prise par les autrichiens puis reprise par les russes )

     

    15 nov. Dimanche - Beau temps. Je me lève tard. Le Gros Ballly d’Annemasse vient me faire une visite au bureau. Tout le monde est parti d'Annecy, toute la 32e excepté Fargeon.

    Les bleus de Valence sont presque tous partis déjà. Peillex, Bogain, Belleville ont été nommés s/lieutenants - Vigroux, blessé - Max Pompée est adjudant, après citation à l'ordre du jour.

    Arrivée de 100 fusiliers marins de Brest. Arrivée de 400 artilleurs avec 200 chevaux, venant des environs de Nancy avec du matériel pour monter des plates-formes pour canons de marine.

    Journée de bousculade. Lettres, colis, etc. Pluie et vent le soir.

    Le colonel vient; conciliabule; sera-ce une alerte? - Rien.

     

    16 Lundi Rien.

    17 mardi. Le soir, le cycliste Girod, cycliste du bataillon, se casse la tête contre un arbre le long du canal. Il est relevé de ses fonctions.

    18 Mercredi. Il a gelé dans la nuit. Temps sec froid et lumineux. Promenade au cimetière. «3 braves bavarois»; Uhlans; tombes allemandes décorées,  le 1er nov. par nos soldats - tombes de 3 fusillés d'Einville.

    Le 18, Je reçois aussi une lettre de Chabert, une de Callet, commissaire à Chambéry et une de William[2], m’annonçant que Léon LeGallic[3] a été tué le 30 août, à Fossé dans les Ardennes

    Il gèle fort, même dans la journée; temps superbe. Je reçois un paquet de Mr Girard[4] dont je distribue le contenu à la 3e escouade avec laquelle j'ai été sous la mitraille.

    Vulliet et 2 capitaines, Berruet et Rendler sont envoyés former un peloton à Dombasle.

     

    20 novembre. La bise, forte gelée.

    le soir arrive une brigade de dragons de Lunéville. 12e et 8e régiments avec deux batteries volantes, des autos mitrailleuse et des auto-canons. Je conduis le sous lieutenant Hailllaux-du-Taillis aux Salines (après avoir fait le cantonnement pour 90 chevaux du 1er escadron du 12e) - Causerie; chasse; attaché militaire (il a échoué à l'examen diplomatique) son oncle, père, agent de change. Rencontre au barrage, d'un homme faisant l'ivrogne; j'ordonne aux sentinelles de le conduire au poste.              

    Pas d’alerte cette nuit-là.

     

    [2] William Voizin son beau-frère (demi-frère de Marie sa femme) est à Paris.

    [3]  Mari de Suzanne Legallic née Voizin ( fille de William Voizin ) . Léon LeGallic Sergent au 46  RI est décédé le 30 août 1914 à Fossé dans les Ardennes.

    http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/ark:/40699/m005239f2ef3a801/5242becb8b7b2

    [4] GIRARD Bernard Antoine né en Savoie. Légion d’Honneur 1911. Ami de J.D                 

     


  • 21 nov. Samedi froid intense. Vent violent. Départ à 1h (réveil à minuit) - J'ai la diarrhée.

    06*1914: Novembre du 21 au 30 - Réchicourt - Mort de Joris

     22 novembre - Je réveille les sections et les officiers - Gebs dort. les autres sont sur pied.

    Le train de combat, munitions et service de santé marchent seuls ; les bagages restent.

    Nous montons sur Valhey ; bise glaciale; je perds mes molletières l'une après l'autre.

    En arrivant à Bathelémont, plusieurs personnes voient des fusées sur Valhey. Je revois notre bureau de Bathelémont, la place où je couchais dans la paille.

     

    Le Ct Dunand renseigne le Ct Girardin : en route vers la Fourasse.

    Nuit claire, les étoiles brillent; le vent souffle. J'ai perdu mon passe-montagne et je m'en fais un avec un plastron en flanelle. La diarrhée continue; j'ai les doigts si froids que je ne peux me déboutonner, ni me ... torcher. Heureusement j'ai une provision de papier spécial.

    06*1914: Novembre du 21 au 23 - Réchicourt - Mort de JorisNous avançons vers Bures; puis à gauche vers le col du signal de Bures. Deux compagnies les 7e et 8e vont à Réchicourt; les 5e et 6e fournissent chacune une section pour soutenir les mitrailleuses; la 6e en fournit une deuxième comme soutien d'artillerie.

    Le jour arrive. L'ordre arrive d'envoyer un peloton de la 5e aux tranchées en avant de Réchicourt, pour tenir le village, où se rendent des autos-mitrailleuses et des auto-canons.

    Je transmets l'ordre au Capitaine Roubertie qui vient lui-même demander au Commandant s'il doit aller au-delà du village.  Le Commandant répond que oui, mais qu'il suffit d'y envoyer une section. Le Capitaine dit alors à Joris d'envoyer une section, la 4e. Je reviens. Le Commandant m'appelle et m'envoie porter l'ordre à la 5d'envoyer un peloton entier, j'y vais. Le Capitaine dit « Eh bien, Joris, Allez-y ». Joris part avec ses deux sections.                                                                                                                         

    Depuis 1/2 heure, nos batteries tirent sur les cotes 271 et 300. Une 1/2 heure après, ordre à la 5e de partir à Réchicourt et de se porter ensuite avec la 7e à la cote 281, coûte que coûte. Le Capitaine part avec la 2e section (Dumont, Perret, Lathuile), alors nous nous portons en avant avec le Commandant et la réserve de la 6e Cie, dans un champ d'avoine, à découvert. Les dragons se déploient en fourrageurs et partent prendre la place de nos 7, 8 et 5 à Réchicourt.

    Alors, les Allemands déclanchent le feu de leurs batteries. Nous voyons à 1600 m de nous, leurs observateurs d'artillerie, un capitaine et deux hommes.

    Nos obus arrosent la crête d'un feu terrible; le tir de l'ennemi ne ralentit pas.

    Nous restons en plein champs allongés sur la terre gelée, dans les avoines; la bise souffle; les pieds gèlent; crampes dans les jambes; obus plus loin, on ne peut pas bouger pour se réchauffer.

    Fusillade violente vers Réchicourt; aboiements secs de nos 75 courts; renflements de nos 75 (à cause du vent, on entend les obus ronfler dans l'air). Au loin, au bois de Saussy, les batteries de 90 tonnent. Les Allemands envoient des rafales de 77 et de gros obus de 105.

    Le temps passe lentement quand viennent les rafales nous mettons nos sacs sur nos têtes; je dois encore une fois user de papier hygiénique en face de l'ennemi.

    Il n'est que 10h; rafales.  Midi; rafales qui nous couvrent de terre, de pierres. Deux heures; on tire en plein sur nous; le Commandant  se lève, nous fuyons. Je vais à 10 pas, ramasser mon fusil, un obus emporte le morceau de terre que mon corps avait dégelé.

    Fuite vers la crête; les obus nous accompagnent. Mes jambes engourdies refusent de me porter, je trébuche, je tombe, je ne peux plus marcher ; les obus pleuvent. Je gagne la crête, où je trouve les mitrailleurs du 2e bataillon; le cycliste de la 6e batterie lourde me rapporte ma musette.

    Un aéro allemand passe au-dessus de nous; il faut rester immobile. L'aéro disparaît; deux autos-mitrailleuses en retraite se trompent de route et venant de Réchicourt, filent derrière nous sur Bures; grêle d'obus; l'un éclate à 4 m en avant de moi, passant sur ma tête en me soufflant au visage. La fusillade augmente; les chasseurs, les dragons battent en retraite; je dois bien vite rejoindre le Comandant; malheureusement, je me trouve à la hauteur de la 5e qui bat en retraite avec le Capitaine; les obus nous accompagnent. Je rejoins le Comandant, toujours sous les obus; notre artillerie est toujours en place; je vois le Ct et la liaison avec le reste de la 6e, dans le creux où se trouvait ce matin la 5e.

    Ordre de se replier; la fusillade allemande est terrible: les lignes de tirailleurs se replient. Quelques obus nous accompagnent. Vers la Fourasse la fusillade continue. Les 75 de la Fourasse arrosent l'ennemi avec ardeur, tirant par-dessus nos tête. Le Ct m'envoie reconnaître les détachements, demander les numéros de Cies auxquels ils appartiennent et porter l'ordre de s'arrêter en tirailleurs sur les crêtes. À la 8e je trouve le s/lieut. Westphal avec une balle dans l'épaule.

    «On apporte un dragon mort au pied du seul arbre.»

    Un autre détachement m'apprend que Joris a une balle en pleine poitrine et qu'on a beaucoup de peine à le dégager.

    Nos brancardiers ne se sont pas montrés de la journée. Nous approchons de la Fourasse. Les Allemands envoient encore quelques obus par salves derrière nous, sur nos talons. Un blessé passe, avec une balle dans le genou; j'appelle un dragon qui lui cède son cheval; je lui fais boire une gorgée de rhum; il a été blessé avant le jour. Plus loin un autre a reçu une balle dans la bouche, ressortie par le bas du cou ; il boit aussi une dose de rhum.

    Derrière la Fourasse, les canons de 90 et de 75, les artilleurs de 90 harassés sont couchés par terre sous les pièces. Les autos-mitrailleuses, les voitures d'ambulance sont là, attendant la nuit pour se porter plus avant .

    Je rassemble les éléments de la 5e égarés avec les autres Cie; 7 hommes d'abord: «- Où est Joris? - Mort, dit l'un» une dizaine arrivent encore. Puis l'adjudant Favier, 3 s/off et une 60aine d'hommes. On se rassemble. Le capitaine doit s'être replié sur Bénamont et Bathelémont. Quelqu'un dit qu'on est allé chercher Joris en auto.

    On se met en route vers Bauzemont; je marche péniblement à cause de mes pieds blessés; Pinget me prend mon fusil et me conseille de manger, car je vois des cercles rouges et bleus et la tête me tourne. J'avale mon 3e bâton de chocolat de la journée. Le cycliste de la section de mitrailleurs m'offre de prendre mon sac et me passe sa machine. Je suis sauvé. Descente à roue libre sur Bauzemont; artillerie; dragons. Après Bauzemont, je prends la route de halage pour éviter les autos, les canons, etc. À 6h moins le quart, au clair de lune, le long du canal gelé, je rentre à Einville. Le bureau où est mon lit est bien chauffé. J'envoie chercher deux litres de vin que je fais chauffer, avec du sucre pour les camarades de liaison et du 2e peloton de la 5e avec qui je fais la popote dans la maison même. Je veux aller chercher de l'eau dans la cour pour me laver; je trouve un cheval mort et la pompe gelée. Le vent recommence à souffler.

    Pauvres blessés qui peut-être resteront autour de Réchicourt !

    Les camarades arrivent. Déplante et Maugras viennent en «rigolant» nous demander des nouvelles; je me fâche. J'apprends à Déplante que Joris est probablement mort. Ça le calme un peu de sa bonne humeur déplacée.

    06*1914: Novembre du 21 au 30 - Réchicourt - Mort de Joris

    ( Joseph Duchêne , Joris et Deplante étaient amis avant guerre et leurs familles sont liées )

     

    Je vais au cantonnement de la Compagnie dire qu'on prépare du thé chaud ; il n'y en a pas; pas de feu. Les hommes préfèrent un quart de vin, un verre d'eau de vie, un morceau de pain et la paille. Je vais rendre compte au Capitaine qui arrive seulement de Bathelémont de ce qui a pu être distribué aux hommes ; je lui dis qu'il y a environ dix blessés, un disparu, tous les sous-officiers ont été vus après le combat. Joris, d’après deux s/off de la 7e Cie, blessés en le portant, a été laissé pour mort en arrière de Réchicourt. Les officiers répondent qu'on l'aurait emporté en auto ; en somme on ne sait rien.

    On mange un morceau et on se couche. Je suis si fatigué que je ne regarde même pas mes pieds blessés. Durant deux heures, je me réveille à chaque instant; les chevaux font du bruit dans l'écurie voisine et il me semble entendre les obus éclater.

    Lundi 23. Je ne peux mettre mes souliers ; je prends mes souliers blancs, que je garde toute la journée.Le Ct nous annonce que nous partons demain pour  Saint-Nicolas-du-Port, au repos. Cela me fait de la peine de quitter Einville. Nous aidons le 299 à préparer son cantonnement à notre place. Le soir, Drumont, le sergent Gérard et 3 hommes, dont Patuel partent pour Bathelémont; demain matin, ils iront chercher Joris, qu'on n'a pas retrouvé dans les hôpitaux de Lunéville.

    En me couchant, je me trouve un orteil du pied gauche avec une ampoule pleine de sang; deux orteils du pied droit ont l'extrémité gelée; les ongles de deux gros doigts ont coupé la chair, les deux chevilles sont enflées. Dans la journée on m'a fait remarquer que ma capote est trouée dans le bas par un éclat d'obus; ça doit être dans le col d'Arracourt, dans l'abri du 223, quand j'ai reçu des pierres dans les jambes et l'homme couché devant moi un éclat dans son sac.

     

     

    ------------------

    Extraits JMO ( cliquer pour agrandir )

    06*1914: Novembre du 21 au 23 - Réchicourt - Mort de Joris06*1914: Novembre du 21 au 23 - Réchicourt - Mort de Joris

    06*1914: Novembre du 21 au 23 - Réchicourt - Mort de Joris 

     

     

     

    06*1914: Novembre du 21 au 30 - Réchicourt - Mort de Joris

     

     

    06*1914: Novembre du 21 au 30 - Réchicourt - Mort de Joris

    06*1914: Novembre du 21 au 30 - Réchicourt - Mort de Joris      03*1914: Novembre 21-23 "Réchicourt - Mort de Joris" & 24-30 "cantonnement Maixe "JMO "Brancardiers  74e DI"

    http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/ark:/40699/e00527acbe261c00/527acbe2c2c73

    http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/ark:/40699/e0052e978208ba2d/52e97820e3792

    http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/ark:/40699/e00527fda1d1f25b/527fda1d54d0d

     

    ------------------------------------------

     

    24 mardi novembre 1914  Lever à 5 h. Départ du campt à 6h pour Maixe où nous attendons le campt du 1er bataillon une 1/2h. Mes doigts de pieds gelés me font beaucoup souffrir; c'est une brûlure à chaque pas.

    Maixe en ruines - Crévic en ruines - Nous suivons le canal, laissant Sornéville et Dombasle (en partie) à gauche. Le canal flanqué de tranchées abris alldes, trous d'obus, tombes alldes et françaises.

    Halte à Dombasle - Usine Solvay (soude) Salines de Rosière - Warangéville, St Nicolas - Préparation des cantonnements.

    J'attends la Cie aux faisceaux; elle passe plus loin - rejoins; le Capne se fâche; moi aussi.

    Bureau de la liaison à la brasserie de St Nicolas (Mr Moreau propriétaire absent) Notre popote est à côté. Tout le bataillon est logé rue de Laval, route de Nancy (à 11 kilomètres) à Lunéville (17 kilomètres) La cathédrale (basilique) est un bel édifice gothique. La Meurthe sépare St Nicolas de Warangéville.

    La liaison du 2e bataillon couche dans le bureau de la Brasserie, chauffage central, éclairage électrique - par terre sur des matelas avec oreillers, couvertures - Pas trop mal.

    J'ai trouvé beaucoup de chambres; j'en donne aux officiers des autres Cies (au petit Favre; le St Cyprien) chez l'aumônier des Hospices St François.

    Oh! Mes pieds. Journée de bousculade. Le colonel s'irrite de ne pas savoir où est le poste de police du 230e, crie contre Fontanel. Le Commandant vient expliquer à mon Capitaine qu'il y a un malentendu; le Capitaine s'excuse envers moi.

    25 nov. Notes, rapports, vie de caserne avec le désordre en plus.

    Jeudi 26. Exercices - pour la liaison, calme. Bonnes nouvelles de Russie. Toujours pas de lettres de Russie.

    27 et 28. Vie de garnison - Exercice; les hommes jouent «aux barres ». Bonnes nouvelles de Russie - Accalmie sur tout notre front occidental.

    Les cafés sont pleins de 5 à7. Le soir, nous jouons à la manille à la popote, ou à la bourre. Vittet nous raconte Gerbéviller.

    Dimanche 29 Repos. Le Président de la République, qui devait passer hier entre 13 et 14h, passe ce matin, allant de Nancy à Lunéville.

    Pas de combats sur le front occidental. Les Russes avancent sans doute, mais ne communiquent rien ; ils battent aussi les Turcs.

    Le temps est beau, parfois brumeux, chaud. Demain le 2e bataillon, le nôtre doit aller à Nancy, se baigner. Pourvu qu'il ne pleuve pas. J'ai reçu une lettre François Milan, Sénateur, sergent au 13e Chasseurs, son frère est juge à St Jean de Maurienne. Lettre de < Hugueniot >.

    Lundi 30 baignade à Nancy pour le 6è Bataillon. Je reste comme adjoint de bataillon. Rapport à 10h. Pas de lettres. Beau temps.

    Samedi 31 octobre. Le matin repos. Le soir nous allons continuer notre abri contre le tir de l'artillerie. En allant conduire une demi-section à la grand'garde pour y porter des piquets (pour réseaux fil de fer) je trouve un culot d'obus de 72.

     


  • 1er décembre 1914 . Beau temps clair, pas froid.

    5e mois de guerre. Malgré les victoires russes, on n'entrevoit pas la fin.

     

    Le soir, manœuvres de cadres entre Dombasle et Vitrimont.

    Énormes trous d'obus, éclats de fonte, de cuivre, d'aluminium ; tranchées, abris, plaques de tôle, portes volets, plaques de zinc ... ferme brûlée, puits de salines.

    Mes doigts de pieds gelés me font bien mal, dans la marche, quand le pied se réchauffe.

     Deux cartes de Massingy m'annoncent que Joseph de Cessens 1 est mort à l'hôpital dans les Vosges, le 4 novembre (en revenant de la manœuvre causée par le Lieutenant. Rendu)

    1 Joseph Marie Duchêne 297èRI, un parent. Blessé - Mort le 4/11/1914 à l'hôpital de Rambervillers (88)

    2 déc. Rien de particulier. Favier arrose ses galons d'adjudant.

    3 déc. Vittet adj-chef; Ducret, Perrey adjudants.

     

    4 déc.Je vois M.Bergeret, Docteur qui me renvoie au Dr Payot.

     

    5 déc.Certificat du Dr Payot pour mes pieds

    Veille de St Nicolas; nous offrons un tour de cou avec améthystes à la fille de notre patronne de popote, Mme Nicolas - Tir aux champs de Padoue -  Il pleut.

     

    6 décembre dimanche - Attends le Dr Bergeret. Je finis vers 9h10 par frapper à sa chambre; il se fâche de me revoir à l'infirmerie. Là il décide que ce sera pour le soir, le soir, il me traite de fricoteur... J'encaisse le mot sans broncher.

     

    7 lundi. Ex de bataillon le soir. Je demande la permission.

     

    8 Mardi Manœuvre de brigade. Je n'y vais pas. Le capitaine est mécontent. Tout se gâte pour moi. Je vais bientôt être considéré comme un mauvais soldat et un mauvais citoyen. Laissons passer; Ma conscience est tranquille et cette épreuve me remonte le moral.

     

    Toujours pas de lettre de Kielce2. J'ai envoyé une lettre au Général Jilinsky, lundi matin, demandant nouvelles télégraphiques des familles Jilinsky, Astafieff, Duchêne. Temps gris, chaud, quelques gouttes de pluie. Par lettre partie ce matin, j'ai demandé 100 fr à Massingy3. Ernest, de Grenoble, m'a écrit4.

    2 Ville de Pologne où sont sa femme et ses enfants. 3 Massingy Haute-Savoie, son village natal 4 Certainement Ernest Duchêne (neveu) 14è Section. infirmiers militaires - Grenoble

     

    9 décembre. Manœuvres de nuit; projecteurs sur Nancy.

    Pas de dépêches, pas de lettres de Russie. Bonne lettre de Chabert. Imperméable en toile cirée de M. Girard - dont j'ai déjà reçu deux paquets dimanche. Savons, crayons, floréine, biophorine, cigarettes, tabac, chocolat, papier spécial - distribué à la 3e escouade.

    10. Jeudi. Manœuvre de régiment vers Manoncourt. Célestin et le Dr Bergeret forment l'E.M du colonel. Vu le cap. Anthonin.

    Le canon gronde sans interruption vers Pont-À-Mousson.

    4 aéros passent sur nous; l'un nous fait un magnifique vol plané en se dirigeant sur Nancy.

     

    11. Vendredi Temps superbe et chaud.

    Manœuvre de Brigade vers Haraucourt. Le canon tonne, les aéros se suivent sans interruption; ils reçoivent des obus allds. Nous marchons près des Salines, au milieu d'énormes trous d'obus remplis d'eau, 15 m. de circonférence, tranchées, abris, 1 arbre culbuté par un obus. À droite, ruines d'Haraucourt.

    En rentrant, mes doigts de pieds gelés me font beaucoup souffrir; de plus j'ai une douleur au-dessus de la cheville du même pied. Je rentre avec peine.

    05*1914: Décembre du 1er au 31 - " Enfin des nouvelles de la famille " & "1er Noël en Guerre" J'envoie en passant par Warangéville, le cycliste du bataillon Quetand, voir à la poste si je n'ai pas une réponse télégraphique de Jilinsky. Il m'annonce, comme je rentre à mon bureau, qu'il n'y a rien; je me retiens de pleurer et je manque de jeter mon fusil à terre de dépit. J'ai à peine le temps de m'asseoir que Dumont, le sergt-major, m'apporte une grande enveloppe de Russie. Je suis anxieux de voir la date, je l'ouvre : c'est du 4 novembre! Lendemain de la prise de Kielce par les Russes - Ils sont tous vivants ! Une photo ! Quel bonheur. Je lis ma lettre en pleurant...

    Puis malgré mes pieds malades, je vais en ville acheter des châtaignes, du rhum, 10 bouteilles de vin blanc, une boîte de demi londrès. Bonne soirée. Les camarades de popote partagent cordialement ma joie. On chante ; on dit des monologues. Dumont arrive - Je l'embrasse.

    12 samedi. Rien, Hier je n'ai pu écrire à cause de mon émotion. Je fais des lettres toutes la journée. Il pleut.

    Hier le Capitaine Roubertie a quitté le commandement de la 5(23 e) Cie pour passer au petit dépôt de Warangéville. Geps commande la Cie.

    12 décembre Dimanche. Temps beau et chaud. Repos. Promenade au cimetière. Séance récréative, rue Jolain, donnée par le 223 aux officiers et s/off de la brigade. Raymond, de l'opéra comique - Lakmé et Plaisir d'amour - Faust par Guignol lyonnais - L'Amour, par un lieutenant du 223.

    13 lundi. Manœuvre de régiment vers Manoncourt. Un peu de pluie. Lettre d'Empereur5.07*1914:  du 24 novembre au 18 décembre

    5 M. Empereur :  Député puis Sénateur de la Savoie de 1909 à 1920 -

    14 mardi. Rien - un peu de pluie - lettre de Cibaud ; il a écrit à ma femme …

    15 mercredi. Manœuvre de régiment vers le champs de tir de Padoue et Ville-en-Vermois ; il pleut ; je sors ma «dalmatique» en toile cirée, don de M.Girard. 

    16. Baignade à Nancy. Je n'y vais pas. Je reçois une lettre de Félix Ramaz6 avec 10 francs pour boire un canon. Lettre de Cibaud. 6 Mari de sa soeur Antoinette Eugénie

    17 Vendredi. Beau temps ; je reçois une deuxième lettre de Marie, avec la photo des enfants prise par moi dans le jardin. Je paie les châtaignes et le vin blanc le lendemain soir.

    Samedi 18. Rien - beau temps - Beignets, châtaignes, vin blanc. «L'industriel savoisien» a publié mes quelques lignes sur le dons des instituteurs et m'a envoyé le numéro du journal.

     

    Lundi 19 décembre 1914 soir. Nous recevons l'ordre de nous préparer à partir le lendemain soir, pour Erbéviller et Homécourt.

    Surprise! On décommande les oies et les dindes du réveillon. Tristesse de nos hôtes.

    22 décembre Mardi. À 1h, les fourriers seuls partent. Deux aéros boches suivis d'un français. Beau temps. Une voiture qui conduit du vin nous a pris nos sacs. Haraucourt en ruines; l'église; maison crevées, incendiées, criblées de balles. J'achète du pain et du fromage.

    08*1914: Décembre du 19 au 31 - 1er Noël en Guerre

    Route qui traverse champs de bataille. Des tombes avec des képis de chasseurs à pied; des trous d'obus français; bois hachés par la mitraille - Réméréville, en ruines.

    08*1914: Décembre du 19 au 31 - 1er Noël en Guerre

    Halte sur le pont - Arrivée de nuit à Erbéviller occupé par le 257e de Bordeaux que nous relevons. Le village n'a que 3 ou 4 maisons avec toit; le 34e territorial (mitrailleurs) et la 58e d'artillerie en occupent une partie. À la liaison, on nous donne du gâteau et du thé café; le lieutenant Fagot nous a donné son repas froid; j'y ajoute mon pain et du chocolat. Coucher dans le cantonnement des mitrailleurs du 257e; grange sans paille; froid. Je ne dors pas de toute la nuit.

    23 décembre. Arrivée des 2 compagnies 7 et 8 à 4h 1/2. Les autres autour de 6h 1/2. Nous organisons une popote à la liaison. Quetand de Thônes, le cycliste, cuisinier. Boisier, horloger à Marmoz, aide. Nos artilleurs tirent dans la journée; à Sornéville, un obus allemand de 105 a tué un homme et ses deux chevaux au milieu de la rue (la veille). Tous les jours les obus allemands démolissent une ou deux maisons. Les Allemands ont, paraît-il, une pièce de 105 circulant sur rails, qu'on ne peut découvrir.

    24 jeudi, veille de Noël - Arrivée des colis d'Annecy; il y a du chocolat d'Annecy; du tabac, cigares, cigarettes suisses; briquets, biscuits, figues, oranges, pipes, bonbons, caramels. Paquets venant des écoles de Warangéville et St Nicolas. Nous faisons la distribution et expédions cela. Ma compagnie (la 5e ou 23e) est au bois de Faux pour deux jours. Nous mangeons copieusement vers 6h. Tapponier m'a rapporté de St Nicolas du Cointreau et une boîte de demi londrès.

    08*1914: Décembre du 20 au 30 - 1er Noël en Guerre

    Le Commandant m'apporte un pli pour le Lieutenant Gebs, commandant ma compagnie. Je vais, la nuit, le lui porter dans la forêt. Départ à 6h1/2avec le cycliste Quetand jusqu'au poste de liaison sur la route de Sornéville et Moncel. Puis tout seul, je vais à droite, où à 200 m dans le petit bois, je trouve la sentinelle et le poste, couvert de bâches, de l'adjt Cattin et du Sergt-major Dumont.

    Arrêt de quelques minutes; Je prends un homme pour me conduire. En route, à travers la forêt boueuse. 500 mètres de forêt, 500 m de champ, en montée, 2e forêt gardée par des sentinelles; 500 m dans la forêt.Je suis au poste du chef de grand'garde: une vraie casemate souterraine à l'abri des gros obus.

    08*1914: Décembre du 19 au 31 - 1er Noël en Guerre Sur le chemin du retour tous les postes m'attendent avec anxiété; comme je suis porteur de mauvaises nouvelles et que ma venue a été signalée, tout le monde veut savoir, on croit à une attaque générale pour cette nuit de Noël.

    Je reviens à travers le bois boueux jusqu'au 1er poste près de la route; on me retient à manger des friandises puis nous faisons un bridge : Adj.Cyprien, Sergent-major Dumont, Sergent Roupioz. Vers 10h. Nous prenons du thé.

    À ce moment, le tir de nos batteries commence et continue pendant que je reviens tout seul vers Erbérviller. Les collines vers Mazerulles, Champenoux etc, s'illuminent de grandes lueurs, puis 15 ou 20 secondes après, j'entends l'explosion grave, puis l'obus qui passe haut dans l'air, à gauche au-dessus de moi, avec un ronflement puissant; puis là-bas, vers Moncel et la frontière, l'éclatement de l'obus.

    Quand les pièces de marine d'Erbéviller tirent, l'obus passe plus près. Aucune riposte des Allemands qui ont, parait-il l'ordre de ne pas tirer la nuit pour ne pas gaspiller des obus. Le tir continue jusqu'à 1 heure du matin.

    25 décembre. Noël, beau temps clair avec faible gelée.

    08*1914: Décembre du 19 au 31 - 1er Noël en Guerre L'après-midi, je monte communiquer le rapport aux A.P avant- postes, juste au moment où des obus allemands tombent à 300 mètres d’Erbéviller, le tir de notre artillerie commence ; les Allds répondent en envoyant, comme ils le font presque chaque jour, 10 obus sur Sornéville ; depuis le bois d' Erbéviller qui domine, je vois une maison sauter avec un gros nuage de poussière qui reste 10 minutes en l'air.

    Le lieutenant Duchesne, téléphoniste, et en train de placer une ligne de la route (poste de liaison) au poste central du bois Thiébault (ou bois de Faux) où est ma compagnie. Je le conduis ; nous pénétrons trop avant dans la forêt ; biche, lièvre. Enfin nous arrivons devant un arbre bien décoré; le Lieutenant Gebs et les s/off se photographie en groupe; avec leurs peaux de mouton, autour de l'arbre. Je leur passe des cigares et reconduis le Lt téléphoniste par les lisières des bois. Rencontré Cyprien et Dumont qui vont rejoindre le groupe. Dans leur abri vide, je mange du fromage et des figues. Le canon tire encore (le nôtre). Je rentre au village.

    Le soir, je reçois une invitation au bridge, aux A.P avec le Dr Cattin, celui-ci ne peut y aller, j'y vais avec le sergent Gallay ; nous leur apportons deux bidons de vin, les lettres ; j'ai une demi-bouteille de Cointreau et des cigares français pour les camarades <…ises> pour les hommes du petit poste. Eux ils ont un poulet de Sornéville, du beurre, des œufs. Je remange un peu, je bois du vin, du café, puis le Cointreau et nous faisons une partie de bridge (Lugrin est là; Jollivet dort dans un coin sombre, il fait chaud)

    Nous redescendons, comme la veille, à la lueur des coups de canons français; au loin une maison brûle, derrière Champenoux.

    26 décembre: Le lendemain beau temps, gelée; nous apprenons qu'un dirigeable a lancé des bombes sur Nancy; il a passé par-dessus nos A.P vers 4h 1/2. La même nuit une maison a brûlé à Sornéville. Le cap de la 8e Cie prétend que ce n'est pas un signal, mais un habitant qui aurait pillé une maison voisine et l'aurait incendiée ensuite.

    La population de Sornéville évacue; tableaux dans Erbéviller. Vaches, cochons, chèvres; voitures chargées de matelas, meubles; femmes et enfants; pas d'hommes, des vieux. Les chevaux leur manquent; les premiers partis n'ont pas ramené les chevaux et les voitures. Les pauvres gens! Ils s'en vont dans l'inconnu, laissant toute leur maison, leur intérieur, leur mobilier en partie.

    Hier, un avion français a, paraît-il démoli la batterie de 105 ou de 220 sur des rails qui tirait sur Sornéville. Aujourd'hui pas d'obus d'allemand sur le village.                                                                                                                                 Je reçois une lettre d'Alik1 et une des Péthellaz (annonce d'un colis pour Noël).

    1Son beau-frère en Russie

    05*1914: Décembre du 1er au 31 - " Fricoteur" " Des nouvelles de la famille "  "1er Noël en Guerre"

    05*1914: Décembre du 1er au 31 - " Fricoteur" " Des nouvelles de la famille "  "1er Noël en Guerre" 27 décembre : Temps clair, et plus chaud.

    Un avion allemand nous survole pendant longtemps, revenant 3 fois sur nous; grand biplan; à une grande hauteur; il paraît qu'il a lancé des bombes sur Nancy (c'est la 2e fois en 2 jours). Le soir deux avions nous survolent; mitrailleuses, fusils tirent sur eux. Ils sont trop hauts. Plus tard un biplan français se montre.     Les habitants de Sornéville continuent d'évacuer. Depuis 2 jours il ne tombe plus d'obus sur le village. Mais les avions allemands leur font peur, car ils présagent la reprise des canonnades.

    Une note de service de santé de la Division - le général Bigot est venu en auto, annonce une visite, pour constater les contre-indications à la vaccination anti-typhique, vaccination qui aura lieu pendant la très prochaine période de repos.

    Nous redescendons à St Nicolas mercredi. Dans notre bureau sur la paille, nous couchons à 6. Tapponier a rapporté de Sornéville un rouet lorrain, du lait et une bouteille de  mirabelle. Tous sont gris, sauf l'adjudant et moi. Dans la nuit, pluie.

     

    28 décembre. Pluie. Temps chaud, vent. Le capitaine Roubertie vient à cheval de Courbesseaux à Erbéviller. Il m'annonce qu'il revient à la Cie dès notre retour à St Nicolas, après demain. Nous causons de l'issue possible de la guerre. Il ne croit qu'à la décision par les armes. Blocus impossible.

    Dans l'après-midi, je monte à Sornéville. Thomé, sergent-clairon et l'adjoint de bataillon Vittet m'accompagnent jusqu'au poste de liaison au niveau du bois d’Erbéviller. Je continue seul ; les 90 profitent de l'éclaircie pour tirer quelques obus. Pas de réponse allemande. Je trouve une marmite de campement et j'arrive à Sornéville, après avoir rencontré beaucoup de voitures de gens qui évacuent; deux femmes avec des voitures d'enfants qu'elles poussent. Grand Village a une seule longue rue jusqu'à la place de l'église ; là elle bifurque ; l'église a reçu un obus sur le choeur, d'autres passant par-dessus, ont enfilé la rue et tué un homme et 2 chevaux et démoli quelques maisons.

    Les gens emballent en pleurant pour déménager. C'est un ordre. L'intendance leur achète le bétail, le blé, la farine, les pommes de terre – On leur promet des fourgons. J'achète une poule pour 3 francs et 4 litres de lait à 4 sous. Je vais prendre le thé avec le lieutenant et les adjt Favier et Ducret.

    08*1914: Décembre du 19 au 31 - 1er Noël en Guerre Tapponier [*] m'emmène à l'église, pour jouer de l'harmonium pendant que la pluie accumulée sur la voûte sans toit, tombe en grosses larmes sur le pavé. Un trou au-dessus de l'autel.

    L'entrée est gardée par une sentinelle; le clocher est intact. La nuit tombe et partout on charge des voitures.

    La pluie menace, le vent d'ouest souffle avec violence.

    Nous rencontrons le Lieutnt Gebs et l'adjant Favier qui partent en ronde aux A.P. Et nous rentrons vers Erbéviller ; je porte ma marmite de lait; Tapponier mène sa bicyclette en portant son rouet et Thomé, venu nous rejoindre, sa bouteille de «mirabelle», un support double d'obus de 105 et ma poule.

    Devant nous le projecteur de Nancy fouille les nuages; le vent siffle dans les fils téléphoniques ; une auto venant de Nancy raye la nuit de son phare. Un peu de pluie dans le vent. Nous arrivons. Rien de nouveau. Dîner puis partie de bourre avec le service sanitaire. J'ai 4 lettres de Varsovie (Alik) de Philomène2, du Dr Bouvier et d'Haguemiot.

    2 Philomène: Une de ses sœurs

     

    29 décembre Journée calme. Reçu 8 lettres et 1 paquet.

    // Le matin, Le Ct m'envoie porter à Sornéville l'ordre de départ pour demain matin. J'y vais à bicyclette ; le vent me pousse pour monter, pour redescendre impossible. C’est Jourdil qui ira faire le cantonnement, il descend aussitôt. Je rapporte une poule pour l’aide-major Cattin // L'après midi, je vais avec l'adjudant Vittet, voir les batteries de 90 dans le bois Morel. Ils jouent aux cartes dans leur abri. Ils n'ont pas un seul blessé; ils ont tiré à la mitraille à 250 mètres. En rentrant, explosion du clocher de Champenoux, détruit par nous.

    Le soir en revenant des batteries de 90, explosion du clocher, puis dîner et visite aux artilleurs. Partie de cartes avec le service sanitaire à qui je porte des bonbons reçus, avec des cigares, de Mme Bouvier, docteur. Coucher je ne dors pas.

    Le 30. à 4 h - le 323 qui nous relève arrive; je conduis une section au bois de Faux (relever la 6e) et je fais passer à la compagnie allant à Sornéville la ligne des sentinelles; retour à Erbéviller ; dormi deux heures - Départ, derrière le bataillon, vers 7h 1/2.Nous traversons Réméréville dévasté, le champ de bataille labouré d’obus.À Haraucourt, nous nous arrêtons (la liaison) pour manger dans une épicerie; confiture, fromage, vin blanc.

    Arrivée à St Nicolas vers midi. On se réinstalle rue de Laval ; le bureau à la brasserie; j'ai un lit derrière la brasserie. Il gèle la nuit.

    31 décembre 1914 . Rien - Lettres; le soir souper aux escargots, coucher à 3h du matin. Il ne gèle plus. Ayant gagné 8 où 9 francs à la banque, je donne 4fr aux cuisiniers . Touché prêt. 18fr92

    08*1914: Décembre du 19 au 31 - 1er Noël en Guerre


    [*] Paul Tapponnier ( 1884/1970) deviendra député de Haute-Savoie en 1919  - Son nom apparait une dizaine de fois dans les carnets.

    04*1914 : Décembre 1er au 31 - " Fricoteur" "Des Nouvelles!"  "1er Noël en Guerre"


    votre commentaire
  • 06*1915 janvier du 1 er au 18

     

     

    1er Janvier (1915) - (Saint Nicolas du Port ) - 06*1915 janvier du 1 er au 18

    Rassemblement de la Cie à 9h. Souhaits du capitaine : Vive la France !

    Séance récréative, Chapelle Notre Dame, rue Bonnardel.

    Je reçois des lettres de Russie ; de Marie et Mme Astafieff.

    Un aéro allemand survole St Nicolas ; quelques coups de fusils sur lui.

    2 janvier. Le bataillon va aux bains à Nancy ; je demande au Capitaine la permission de ne pas marcher; 

    à 8h je vais consulter le Dr <Haour> pour une douleur au côté; rien au poumon ; un peu de fièvre ; névralgie  intercostale. Aspirine, quinine, ouate.

    Je vais au rapport de la place, je le porte au Colonel ; puis je touche du chocolat et des friandises venues de  Chamonix et de La Roche, pour le bataillon. Le fourrier Ravanel, 7eCie, est de Chamonix; il connaît les  <Tournier>.Rentrée du bataillon vers 3h ; Thomé attend avec ses clairons ; il a mis le sabre de j'adjudant  Vittet.

     

    3 Dimanche. Lettre recommandée de Marie du 7 déc06*1915 janvier du 1 er au 18 embre, avec lettres  des enfants et une carte d'elle, du 10 déc. Ils se préparent à aller à  Varsovie (comme je le sais par une dépêche du 11 Déc.)

    À 3 h séance récréative – Comme le 1er janvier. Soir nous jouons aux  cartes. Il pleut, il pleut.

     

    4 Janvier. Lundi, pluie, soleil ; soir, manœuvre du bataillon. En rentrant  de St Nicolas, 1 carte de Marie du 4 décembre, une de Mr Debolsky et  une dépêche de Marie du 29 décembre m'annoncent qu'ils sont à Kielce.  Hélas ! Justement, les journaux annoncent qu'on s'est battu le 31 entre  Woszczowa et Kielce, avec succès pour les Russes heureusement !

    5 janvier Trois aéros autrichiens ont jeté 10 bombes sur Kielce !  Espérons que c'est sur la gare.

     

     --------------------------------

     

    5 janvier Après-midi, marche de bataillon par Rosières le Haut, rentrée par le bas.

    Vu des dragons à la promenade. L'un nous raconte (un lieutenant) les campagnes du 12è Dragons. Il a vu le 58 e d'Infanterie jeter sacs et cartouches pour aller au feu. Les 12è Dragons étaient avec nous le 22 novembre, à Réchicourt, quand une brigade de Metz nous a contre-attaqués.

     

    6 janvier. Les Rois. Rien de particulier. Le soir prise d'armes à 9h une fusée dans St Nicolas. À 5h je porte au Col Terris une lettre de Kielce.

    7 janvier Noël russe. Lettres aux enfants. Préparatifs de départ pour demain. Je reçois une lettre de Mme Labrune me disant que son mari m'a écrit et qu'elle m’a envoyé un paquet de friandises avec le passe-montagne demandé. Mme Dauphy me remplit mon bidon d'un quart de vin vieux. Je lui ai offert une pince à sucres et tous ensemble, 6 cuillères à café . Pour Noël, nous avions offert un pendentif à Mlle Yvonne - Je fais une visite à Mme Bieltz, 1 rue du jeu de Paume, où j'avais mon lit ; la Grand mère, le père et la mère (malade) deux filles.

     

    8 janvier. Départ du campement à 6h 1/2. Je pars pour la liaison, avec la 3e colonne à 8h 1/2. Déplante me dit que nous allons à Lunéville, caserne de Stainville (2e chasseurs).

    Après le vent terrible de la nuit (nouveau coup de projecteur entre St Nicolas et Nancy), malgré le temps nuageux, il ne pleut pas jusqu'à Lunéville. Nous passons par Dombasle, Sommerviller, Anthelupt (ferme de Léomont sur la hauteur, dévastée) tombes, Vitrimont à droite et forêt de Vitrimont, enfin Lunéville ; nous laissons sur la droite, derrière la forêt de Vitrimont, Blainville-sur-l'Eau et Mont-sur-Meurthe. Nous entrons dans Lunéville, passons sur deux ponts sautés, devant le palais Stanislas, longeons le champ de Mars et venons aux casernes.

    Le colonel Terris, Ct la brigade, vient visiter le casernement. Le soir, je vais en vain chercher des lettres ; j'échoue dans un restaurant où je trouve Pillet et Dessaix ; dîner pour 25 sous. Rentré au quartier à 8h 1/2 sous la pluie. Journal et coucher, après quelques lettres.

    9 Janvier. Lever, nous déménageons (la liaison du 6e bataillon) de la caserne de Stainville (où est la brigade et le 223) à la caserne Diettman (5e baton). Local sans feu, porte cassée. Rien de particulier. Reçu une carte de Marie du 14 décembre.

    10 janvier Dimanche . Repos, quartier déconsigné.Nous mangeons à la cantine de Stainville (mess commun pour nos 5e et 6e Cies et le bataillon du 223) - Nous installons un poële et réparons la porte. Après déjeuner, promenade en ville avec Grange (Gangolph) sergent porte-drapeau. Visitons l'église St Jacques où est le tombeau du roi Stanislas Leszczynski. Retour à Diettman. Ordre du général de Division de rentrer au quartier.

    Un aéro français passe – Dîner à Stainville, rentrée. Écrit cartes et lettres - Reçu paquet de Mr Girard. Remis mandant de 40 fr du Cr Lyonnais au vaguemestre. Il fait chaud dans la chambre, ce soir nous n'aurons pas froid comme hier.

     

    11, lundi. Pluie. Vie de caserne - D'Annecy, un convoyeur a amené des colis. J'en ai un gros de Mr Labrune: 13 paires de gants, 8 p. de chaussettes, 4 passe-montagnes; cache-nez; 4 pl. de chocolats; 1 tomme, 6 bougies, 1 saucisson, 2 boîtes de pastilles (Guyot et Valda). Reçu un autre paquet des Péthellaz : 1 poulet à la gelée, 3 paquets de cigarettes, 1 p.montagne, 1 paire de chaussette, 1p. de gants, 2 plaques de chocolat Mazet. Nous mangeons aussitôt la moitié de la tomme avec du vin blanc. Soir, lettres.

    06*1915 janvier du 1 er au 18 12 janvier mardi. Le régiment se rend en pèlerinage à Rehainviller, visiter les champ de batailles de Mont et R. 1

    Départ à 12h 30 ; gare, ponts sautés, la Meurthe; champs pleins d'obus. Hérimenil à gauche, puis Rehainviller - Trous d'obus, maisons démolies, trouées.

    En sortant du village, bifurcation sur Mont, à droite; halte; trompettes de Dragons qui défilent.

    À la bifurcation, une ferme où le colonel et le commandant ont passé la nuit dans la cave; tout autour, tombes isolées dans les champs ; tombes collectives à gauche et à droite de la route; presque toutes appartiennent au 223. Une crête nue avec des tranchées creusées par ma Cie; C'est ici que Joris a été nommé s/lieutenant.

    Le 1er bataillon arrive ; le colonel Orsat vient voir la ferme. On se remet en marche pour rentrer et défiler devant le drapeau, au son des clairons.

    Pluie, j'ai mis mon imperméable en toile cirée. Je rentre très fatigué de cette marche de 10 kilomètres, étourdissements, on me dit que j'ai la mine toute jaune. Nous mangeons la moitié du saucisson de Mr Labrune. En montant l'escalier de la cantine, pour dîner, je tombe, coup sur la rotule, étourdissement.

     

    13, mercredi – Rien - Pas de lettres; touché mon mandat de 40 fr ; reçu un passe-montagne de Mme Bouvier. Ah ! J'oubliais; il ne pleut pas;

    Et comme toute la nuit, notre canon a tonné et continue encore le matin et toute la journée. 3 avions allds viennent vers 8h survoler Lunéville et filent vers Nancy. À midi, 4e avion; on lui envoie une 15 d'obus, sans résultats, à 2h, un 5e vient sur nous, vire et envoie 2 bombes ; bruit formidable, sans résultats. Il s'en va, salué par quelques coups de canon. La canonnade de notre artillerie lourde continue: sourds grondements qui ébranlent tout. Il y a quelques jours un train blindé alld est venu tirer vers Badonviller. Dans la nuit du 12 au 13, le 31e chasseur a fait une attaque.

    J'ai remis ce matin ma demande pour l'intendance au Capitaine; il dit que je dois d'abord passer la visite.

     

    14 Rien - Reçu passe montagne de Marie Bouvier le 13. Sa lettre le 14 - Je me sens mal, étourdissements - palpitations. C'est la 5ème nuit que je ne dors pas .

    15 - Je passe la visite après une bonne nuit de sommeil. Le Major Bergeret me déclare « apte » à continuer la Campagne.

    Il parle au capitaine qui me promet qu'il fera son possible pour m'épargner des fatigues.

    Reçu 1 lettre du Matin, une lettre de l'abbé J. Marie et le journal l'Industriel.

    Le génie fait sauter un obus de 77 devant la caserne, sur le champs de Mars.

    Tremblement de terre en Italie. Par suite de crue de l'Aisne, insuccès au nord de Soissons.

     

    16 Janvier, samedi =  Tempête de neige et de pluie.  Lettre de Chabert, rien de Russie ! Pourquoi ?

    L'attention se détourne des champs de bataille pour suivre le travail des Diplomates; les Roumains, les Italiens ? Les Japonais ?

    Le soir nous allons boire une bouteille de Bourgogne au café du Progrès. Les s/off de la 23e y dînent. Partie de billard avec Pinget.

    On parle de départ pour lundi aux Avants-Postes

     

    17 janvier, dimanche. De 6 à 8h, permission d'aller à l'église.

    Nous partons dans la nuit ; le 1er baton et la 6e (24e Cie) vont à Einville, la 2 e (3 Cies) à Bauzemont aux A.P.

    Départ par alerte à 1h. Du matin : la liaison sous mes ordres : 1 peloton de chasseurs des Cies d'A.P (21,22,23) et les téléphonistes.

     

    18 janvier - Départ 1h, il neige un peu, route mouillée. Traversée interminable de la ville; faubourg d'Einville incendié.

    Il fait noir, neige, assez froid ; j'ai mis ma dalmatique en toile cirée et mon passe-montagne. Nous passons à Einville, halte au pont sur le canal, à 1 kilomètre d'Einville, vers Bauzemont ; Arrivée à Bauzemont, j'y laisse mon sac et je vais avec le Capitaine Roubertie accompagner le peloton Gebs à la cote 283 (entre Bures et la forêt de Parroy).

    La neige tombe fort ; nous pataugeons vers la Fourasse et faisons à rebours la route du 22 nov.; puis obliquons à droite, retombons sur le canal près d'Hénaménil et grimpons à gauche dans un mauvais chemin, avec rails de voie étroite. Arrivée à la grand'garde par une pente avec escaliers, chaque marche pleine de boue très liquide ; couloir fangeux, abri avec plafond de poutres en fer, de bois, de paille ; le téléphone est là. Les officiers préparent les consignes, se renseignent sur le secteur.

    Pendant la relève, je vais boire une tasse de bouillon aux «cuisines» du 36e. Je vais voir le poste de la Cie voisine installée auprès du pont sur le canal, toujours en pataugeant dans la neige fondue et la boue glacée. Retour vers 8h, par la route qui longe le canal, de l'autre côté, route sèche, excellente.

    Arrivée à Bauzemont vers 9h, je m'occupe de cantonner le 2 e peloton de la Cie qui vient d'arriver ; il faut attendre que les locaux soient désinfectés par le service de santé du 36 e colonial que nous remplaçons.

    Le capitaine m'envoie me reposer. La liaison est installée dans le château de Bauzemont; nous avons un poële, 2 lits et 2 sommiers par terre. J'installe mes affaires et vais boire un bol de chocolat au lait dans le village; à tout hasard j'achète 2 œufs pour 10 sous. Installation et nettoyage des tuyaux du poële, feu ; je me couche un moment. À midi nous mangeons mon poulet à la gelée. J'y ajoute mes 2 œufs et du chocolat. Ce soir, le convoi arrive et nous aurons un dîner.

    Je reçois une lettre d'Alik (du 27déc.),une carte de Marie du 15/12 et une lettre de Mme Seudra de Chambéry.

    Dîner. Il gèle ; tasse de café à la popote des officiers, cigares écrit quelques cartes. Coucher avec une brique chaude pour me réchauffer le ventre (j'ai un peu de coliques) et les pieds.

     

    19 janvier mardi. On nettoie la chambre, on installe une table à écrire; je monte mon sommier sur deux supports et je trouve une table de nuit. Je balaye un coin, je trouve des rideaux et portières pour servir de couvertures.

    Journée calme - du canon vers Pont-à-Mousson tonne avec fureur ; le 75 s'en mêle vers Moncel. Il gèle.

     

    20 janvier. Rien de particulier Avions – Canons

    Reçu une lettre d'Alik du 30 déc. et lettre de Cibaud du 16 janvier -

     Dans la nuit, vers minuit, deux cyclistes mont06*1915 janvier du 1 au 16 - 17 au 31 Bauzemont, Parroy, Einville ....ent d'Einville, du colonel.                              Le Ct nous réveille Boisier et moi et nous remet un pli pour les grandes gardes en avant (à gauche) du canal, à 283 et à Parroy ; nous allons réveiller les cyclistes de nos  compagnies qui partent à bicyclette le long du canal de la Marne au Rhin ;                          il gèle, temps assez sombre. À 3h, je vais annoncer au commandant que les cyclistes sont rentrés et que l'ordre est transmis.

    21 janvier. Pas de lettres, sauf une du receveur des postes d'Annecy m'avisant que sa Poste Restante n'a rien reçu pour moi. Il commence à dégeler, il pleut.

    Hier, une patrouille du 333, devant Arracourt, à tué un officier allemand, 2 soldats et rapporté un blessé après avoir dépouillé les morts de leurs équipements .

    Le capitaine Roubertie chasse le sanglier dans la forêt de Parroy ; le capitaine Bersani pêche dans le canal au filet.

    Le soir les cyclistes portent aux A.P. Des ordres concernant des patrouilles à ne pas faire. Mauvais temps, pluie.

     

     

     06*1915 janvier du 1 au 16 - 17 au 31 Bauzemont, Parroy, Einville ....22 janvier, vendredi - A 6h 1/2 le Ct nous réveille, le canon a tonné depuis 4h. Ce sont les Allemands qui arrosent tout notre front avec leur 77; ils tirent sur la digue de Parroy ! Veulent-ils avec leurs77 la démolir pour nous inonder ? Nous nous levons prêts à porter des ordres; la relève arrive, tout se calme.

    Vers midi, combat d'artillerie: les Allemands avec de gros obus tirent sur 322, 327, la Fourasse et 283. Nos 90 et 70 de la Fourasse reçoivent des obus tout près. Ils ripostent aidés par les 95 d'Hénaménil.

    Temps chaud, soleil radieux de printemps, dégel. Vers 3h tout se calme ; on entend le bruit d'un moteur d'aéro invisible.

    Arrivée des colis postaux venant d'Annecy avec des cadeaux ; lainages, chaussettes, biscuits, un peu de chocolat - Le soir clair de lune superbe, fusées dans le ciel - derrière le château, observatoire superbe avec un bouquet d'arbres: de là on découvre Valhey, Bathelémont, Bénamont, les hauteurs de 329 et 327 et le signal allemand ; panorama splendide, moitié blanc de neige, moitié gris ou noir (forêt) Pas de lettres !

     

    Samedi 23 - Rien de particulier, il dégèle. Coups de canon. Reçu 2 lettres, rien de Marie. Nous jouons à la bourre. Je gagne 7 ou 8 fr.

     

    Dimanche 24 - Coups de fusil dans la forêt de Parroy ; il paraît que le 299 aurait surpris une patrouille allemande.

    Le soir, 2 lettres mais rien de Russie. Préparatifs de départ pour demain matin à Einville. Le 1er bataillon vient nous relever.

     

    25, lundi - Lever à 7h ; emballage; nous mettons dans un sac nos galoches et nos effets supplémentaires. Déjeuner; départ à 8h 1/2, à la queue du bataillon, avec 4 voitures du convoi. Temps gris et assez doux. Vue sur Valhey, Einville, le clocher de Raville; les hauteurs qui nous séparent de Lunéville sont blanches de neige.

    Arrivée à Einville; notre bureau est au même endroit chez Hayem , un juif ; nous avons 3 bons lits en haut et en bas dans le bureau (le mien autrefois). Le colonel est au château; le Ct Girardin et le mess des officiers du 6e bataillon sont près du pont (Café du Pont). Je vais reconnaître les logements de mes officiers et les cantonnements de ma Cie.

    Beaucoup d'ordres à copier toute la journée (corvée de bois, de clayonnage, travaux dans les tranchées, vaccination anti-typhique etc.).

     

    Sur la place de la mairie, les artilleurs nettoient leurs pièces de 75; 3 canons sont là ; l'un, a une blessure faite par un obus alld. Le 4e est en batterie à Crion pour tenir contre les aéros.

    Nos 2 popotes sont installées et fonctionnent bien. Je mange avec le 1er peloton, Vittet avec la 2è.

    Je tousse un peu... Pas de lettres! Un journal italien de l'abbé J.Marie. J'écris au « Matin » d'installer un dépôt à Einville.

    Dans l'après-midi, dans la grand'rue, chez le ferblantier, deux hommes ont été tués en voulant dévisser une fusée de 105 allemand. (Le vieux ferblantier et un mitrailleur du 6è territorial)

    26/1 mardi. Bonne nuit dans un bon lit avec des draps... presque propres. La neige couvre tout ; on nettoie les rues.

    Le «Petit Journal » annonce que l'escadre anglaise a coulé un gros croiseur allemand «Le Blücher» de 16000 tonnes, et endommagé deux autres. Comme réponse au raid des Zeppelins sur Yarmouth, les aviateurs anglais ont bombardé Zeebruge.

    Les avions allemands ont lancé 80 bombes sur Dunkerque.

     

    06*1915 janvier du 1 au 16 - 17 au 31 Bauzemont, Parroy, Einville ....27/1. Fête de Guillaume; chez nous, rien de particulier, 

    vaccination anti-typhique. J'ai un peu la colique. Pas de lettres de Russie. .

     

    28/1 jeudi. Pas de lettres - il gèle. Fête de Favier et Lathuile (François). Cattin (adjt. séminariste) est nommé s/lieutenant.

    29/1 vendredi. Beau temps clair et froid, soleil. Vers 2 heures, deux avions allemands passent sur nous allant vers Lunéville; un seul revient; à 2h1/2 le téléphone nous apprend que l'autre a été descendu à Lunéville, il avait à bord 1 officiers et 2 s/off.

    Pas de lettres de Kielce.

    30/1 samedi. Beau temps - Pas d'avions; si un français, le soir pendant une alerte faite pour permettre au Général de Division (Bigot) de se rendre compte de l'état d'avancement des travaux de défense sur la ligne principale. Froid; la neige couvre tout le pays; les travailleurs se détachent en sombre sur <manchons>: Valhey – Bauzemont, Hénaménil; les Allds bombardent nos avant-postes. L'avion est en haut que nous l'entendons bien longtemps avant de le voir, il reste visibles quelques minutes seulement pendant qu'il est au-dessus de nous. Nous rentrons.

    Pas de lettres, une seule carte de Massingy.

    Demain, mon bataillon monte à Bauzemont, mais ma Cie reste = On propose, 1 cap pour la croix de St Anne, 1 lieut. Pour St Stanislas; 1 adjt pour St Georges de x classe, 1 sergent pour la classe suivante et plusieurs caporaux et soldats.

     

    31 dimanche. Départ du bataillon - Je dors encore - on m'expulse de la chambre de liaison (la 17e Cie du Cap. Humbert). Rentrée de Vulliet et des élèves du peloton de Dombasle. Le temps se couvre, le soir, il neige. Une lettre de Grenoble, de Mlle Bakkanowska ...et c'est tout !

    La liaison couche au-dessus d'une épicerie, rue du Pont, 2 par 2.


    votre commentaire
  • 07*1915 Février - Parroy2 février mardi. Pas de lettres de Marie. Carte d'Empereur - Beau temps.

    Avions L'un doit descendre vers Gerbéviller, en arrivant de Lunéville . L'autre revient en passant droit sur nous

    Le sergent Pinget de la 2e Cie a été blessé par les Allnds dans Parroy. 2 balles dans le bras.(Voir vendredi).

    3 février mercredi. Pas d'avions = On a tué ce matin un Allemand devant Parroy;

    vers 2 heures, les Allemands attaquent, la 21è Cie résiste sur place et nos 75 et 90 dispersent les rassemblements.

    4 février jeudi. Beau soleil clair. Pas de lettres sauf de Marie Bouvier, du Dr et de sa femme - Le Dr Bouvier est sur le front.

    3 avions allemands salués par des obus. Le soir un français. Venant de Nancy; on lui tire dessus!

    Ordre aux 75 de cesser. Les Allemands tirent le canon.

    5 février Vendredi - beau temps. Devant Parroy, l'Adjudant Fromaget et un soldat (de cavalerie) ont été surpris pendant une reconnaissance.

    La patrouille (P.P.) commandée par un lieutenant de cavalerie est rentrée en évitant le village; lui a été pris.

    Pas de lettres, de personne. Les Cies du 1er Bataillon touchent des capotes bleu-clair; des képis et couvre-pantalons.

    On forme une 3e section de mitrailleuses et toutes les trois sont réunies en une Cie de mitrailleurs.

    Vulliet y passe comme fonction sergent-major. Marquand comme Sergent. Préparatifs du Bataillon Imbert pour monter demain, sauf la 19e Cie qui reste.                                                                        

     

    6 février samedi. Relève. Mon bataillon (3 compagnies) redescend aujourd'hui; je ne serais plus isolé.

    Vers 6h 1/2 les fourriers arrivent; vers 8h1/2 les Cies. Je me réinstalle pour coucher au 1er de la maison Hayem, draps blancs ! Pas de lettres.

     

    7 février dimanche. Pluie. Dégel. Repos . Pas de lettres. Joué aux cartes. Les Allds annoncent qu'ils torpilleront navires marchands dans la zone autour de l'Angleterre. Violents combats en Pologne.

     

    07*1915 Février - Einvile,  Parroy8 février Lundi. Dans la nuit et le matin, pluie. Vers 9h, temps clair et chaud de printemps. Le bateau à vapeur a pu briser la glace du canal et reprendre ses voyages de ravitaillement entre Warangéville et Einville. De Lunéville, la garnison vient se ravitailler à la gare d'eau.

    Arrivage considérable d'obus à la mélinite pour nos 75, venant du grand dépôt de Sommerviller (Transféré de Ville-en-Vermois) - Dans l'après-midi, de nombreux officiers d'artillerie, montent avec des canons de 75. On doit aussi essayer les pièces de 155 de Serres (Bois de Saussy) qui ont remplacé les vieilles, un peu usées déjà et qui vont, paraît-il, être fréttées pour recevoir une charge plus forte.

    Les généraux de brigade et de division viennent chez le colonel, sans doute pour causer de Parroy, où, ce matin encore nous avons eu des pertes (des dragons). Pinget, déjà nommé adjudant est cité à l'ordre du jour de la Divon.

     

    9 février. Rien de particulier. Pas de lettres de Kielce. Lettres de Pompée, de Chabert et paquet d' Eugénie : Crottes de chocolat et 5 tablettes.

     

    10 février. Reçu une carte de Marie, installée à Varsovie.

    Nouvelles capotes gris-bleu-clair. Il pleut.

    Dunand est grossier envers le capitaine, brise son fusil après l'avoir approvisionné et avoir proféré des menaces. On l'amène au poste.

    Canonnade le matin La Neuviller.

     

    11 février. Jeudi temps clair. Adjudant Veyre (17è) et un homme (Buttet) sont blessés à Parroy.

     

    12 fév. vendredi - Pas de départ, mais alerte à 7h du matin à cause d'une attaque sur Athienville Arracourt, repoussée par la 333. Avion allemand sur Einville, très bas.

    Reçu de William, photo de Marie et des enfants faite par lui.

     

    13 fév. samedi. Bains douches à la brasserie d'Einville.

     

    14 dimanche . Lever à 3h 1/2 pour réveiller la Cie qui part à 4h1/2 - Recouché et parti à 6h 3/4 pour Bauzemont .

     

    15 lundi. Reçu 2 lettres de Marie (lettre du 22 janv. carte du 27)

    Hier on a installé trois 120 longs devant le village et 3 autres derrière Hénaménil, en avant de Raville.

    Le soir, les 155 du Bois de Saussy tirent quelques coups. Vers 8h, un dirigeable allemand est signalé sur Athienville. De l'observatoire derrière le château, spectacle tragique des immenses tentacules de 4 projecteurs cherchant à saisir le ballon.

    Le vent violent de ces 2 jours s'est calmé après 2 chasse-neige dans la journée.

     

    16 mardi. Violente canonnade de grosse artillerie au loin vers Verdun ou Pont-à-Mousson. Que se passe-t-il ?

    Ici les 95 tirent ; les Allds répondent par quelques obus de 150. Quelques coups de nos 75. Temps brumeux au loin, un peu de vent.

     

    17 mercredi –  Temps clair et doux. Pluie le soir.

    Un avion à droite vers Crion Lunéville essuye un feu terrible. Canonnade intense vers Pont-à-Mousson; l'air vibre.

    Les 77 arrosent Parroy, Bures, 322 et 327 (avec fusants). Hénaménil surtout (130 obus sur Hénaménil occupée par ma Cie tuent une vache et une poule); le clocher reçoit 2 obus ; Lugrin au pont entre 283 et Hénaménil, reçoit 2 obus dont l'un casse deux arbres. Des renseignements reçus par téléphone ; nous n'avons pas un seul blessé sur toutes les lignes de nos avant-postes (223, 333, 230 et 229). Les 120 n'ont pas ouvert le feu; les 95 ont peu tiré ; les 90 un peu. La 22è Cie (Boisier) monte d'Einville à Bauzemont renforcer et faire des travaux1.

    On décide d'évacuer la population d'Hénaménil. Les Allemands ont sonné les cloches.

     

    18 jeudi. Temps pluvieux, mais assez clair. Vers midi, canonnade au nord, Pont-à-Mousson?

    Les Allemands bombardent 283 et Hénaménil avec leurs 77. Le général Bigot (74è Don) vient à notre château, monte à l'observatoire. Les 120 tirent. 2 sont au bas du cimetière, 1 à la maison brûlée au-delà du pont d'Hénaménil; les 95 appuyent : l'ennemi fait silence.

    Demain matin, 32 voitures commenceront à évacuer les habitants d'Hénaménil, qui a reçu encore 30 obus aujourd'hui.

    Au loin vers Pont-à-Mousson, canonnade violente (depuis le 14).

     07*1915 Février - Einvile,  Parroy

    19 vendredi. Belle journée de printemps, soleil tiède.

    On entend encore par moments la canonnade vers Pt à Mousson;

    les Allemands tirent sur Parroy qui brûle et sur les autres Gds Gardes.

    Le Communiqué officiel annonce: 3è jour de succès à Pont-à-Mousson (Xon, Norroy); en Alsace ; en Champagne.

    Notre secteur n'a rien vu de remarquable.

     

     

    07*1915 Février - Einvile,  Parroy20 février samedi. Parroy brûle ; la canonnade, bombardement continue sur ce village qui a reçu 280 (?) obus en 24h.

    Plusieurs avions, dont 1 français qui est, lui aussi canardé par les nôtres (Biplan Caudron).

    Soir - brume, canon, pluie, canon quand même.

    Je reçois un paquet de cigares et cigarettes de Mr Chabert.

    Soir : alerte à 9h1/2 ; bruits d'attaque générale allemande-

     

    21 dimanche. Pluie, canon quand même; bourrasques puis temps clair, tous les gros canons s'en mêlent surtout ceux de Valhey (115)

    Le soir, avis de la relève pour demain

    Reçu paquet de Girard: papier à lettres, crayons etc. Lettre de Marie, du 1er février, de Max Pompée et d'Ernest.

    J'écris au Colonel Terris pour <l'aff> Joris.

     

    22 lundi. Je pars de Bauzemont avec la 24 Cie de Fleury qui était à Parroy. Je félicite le capitaine de ramener tout son monde.

    Du reste, le bataillon n'a pas perdu un seul homme, ni dans les attaques de nuit, ni pas le bombardement.

    Beau temps clair. Arrivée à Einville vers 8h; chambres des officiers. La Cie arrive un quart d'heure après moi. Tout va bien. Journée calme - bon lit- bon sommeil. Reçu lettres de Chabert, de William, de Suzanne, ainsi que lampe électrique et le Pays de France.

     

    23 Mardi. Rassemblement de la Cie à 7h50 ; le Capitaine part à Lunéville avec le Ct Girardin. Lugrin est le chef de popote. Temps gris, un peu de neige fondue. Rien à signaler. Les Russes auraient perdu 50.000 h dans la retraite de Prusse-Orientale.

     

    24 mercredi. Rien. Lettre de Wola Nicolaïef de Moscou; 1 paquet de M. Girard contenant un imperméable. Donné au cycliste mitrailleur qui m'avait prêté sa bicyclette.

     

    25 jeudi. Rien. 2 journaux de Varsovie envoyées par Marie - lettre de Philomène. 2 prisonniers faits à Parroy dans attaque.

     

    26 Vendredi. 9h du soir - Alerte dans les cantonnements - Attaque allemande sur tout notre secteur, le canon tonne.

    Nos 155 de Valhey tonnent toute la nuit; fusillade violente vers Parroy. À 12h, on envoie dire que les hommes peuvent se coucher, je m'endors à 2h 1/4.

     

    27 samedi. Réveil à 6h ; tout le monde sous les armes. On va au travail; les Allds ont attaqués vers la Neuville puis Parroy.

     

    28 dimanche. Repos, le soir la 18e et la 22e vont occuper Raville et Crion. Je vais les attendre au retour. Bures brûle. On a amené, l'après-midi un prisonnier boche.

     

    FIN DU CARNET N°1

    07*1915 Février - Einvile,  Parroy

     Lettre du 22 février 1915 , recopié à la fin du carnet n°2 :

    "Souvenir d'une petite amie qui regrette beaucoup de n'avoir, du soldat que l’Âme. À Monsieur Duchêne.
    La Patrie appela, pour sa juste défense,
    Ses fils emplis d'ardeurs et tout vibrants d'espoirs ;
    Ils sont partis, joyeux, ne pensant qu'à la France.
    Nous, nous songeons à eux, dans la lenteur des soirs.
    Tandis qu'à l'ennemi, sous le vent de mitraille,
    Ils affrontent la mort et volent au combat,  
    au foyer où n'arrive aucun bruit de bataille
    Nous luttons cependant, notre cœur se débat;
    Car afin de garder notre noble espérance
    Nous devons étouffer et regrets et douleurs.
    Notre devoir, à nous,est d'essuyer nos pleurs
    et de n'avoir qu'un cri : « Amis ! Vive la France ! »
       Germaine Droulin
                                                               22 février 1915

    06*1915 Février - Einville,  Parroy

    Qui est donc  Germaine, qui se décrit comme "petite amie" ? une marraine de guerre ? une admiratrice ? une cantinière ou infirmière ?

    ------------------

    lien vers carnet 2


    3 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique